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MDLVI

Rémission accordée à Jacques Blanchart, mercier de Triaize, près Luçon. En fauchant, il avait blessé involontairement d’un coup de [p. 22] faulx son jeune cousin Simon Blanchart, qui presque aussitôt avait succombé à une hémorragie.

  • B AN JJ. 195, n° 1483, fol. 345
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 21-24
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jaques Blanchart l’ainsné, pouvre marchant mercier demeurant au bourg de Triayse ès marois près Luçon, chargé de femme et de quatre petiz enffans, contenant que la vigille de la feste de la Nativité Saint Jehan Baptiste derrenière passée, ledit suppliant et Simon Blanchart son filz, Jaques Blanchart le jeune, cousin germain d’icellui suppliant se transportèrent ès prez et maroiz près dudit lieu de Triaize, pour faner et mettre en mullon le foin qui estoit faulché en leur pré, mareschaz, botz1 ou maratez. Lesquelx suppliant et Simon Blanchart se arrestèrent en ung pré situé entre la maison appelée les Vignaulx et ledit lieu de Triaise, et estoit environ deux heures après midy, firent ung mulon de foing en faisant grant chere ensemble. Et quant ilz eurent pareschevé, se partirent dudit pré et s’en allèrent tous deux ensemble, et en passant parmy les prez, trouvèrent ung nommé Crespin Marant, lequel Marant estoit en ung pré où il avoit faulché, et estoit avec lui Estienne Marant, son nepveu, lesquelx estoient couchez et repousoient contre une vieille2 de foing, lequel Crespin avoit laissé sa faulx assez loing de [p. 23] lui et de ladicte vieille de foing, laquelle faulx ledit Simon, qui estoit jeune homme actif, trouva et d’icelle se print à faulcher. Et ainsi que icellui Blanchart et suppliant parloient ensemble, ledit Crespin se reveilla et regarda ledit Simon qui faulchoit de sa faulx, auquel il dist que il la laissast et qu’il estoit bien jeune et n’estoit pas son mestier à faulcher, car il romproit sa faulx. Et lors ledit suppliant qui estoit sur ung bot nommé le Bot du prebstre, autrement dit marates ou mareschatz, dist audit Simon qu’il lui baillast ladicte faulx et qu’il faulcheroit de la jonchée pour la feste de saint Jehan qui estoit le lendemain, en l’onneur duquel, quoy que soit saint Jehan Envangeliste, ladicte esglise de Triaise est fondée ; ce que ledit Simon fist. Et incontinant icellui suppliant se print à faulcher, et en faulchant dist audit Simon qu’il se tirast en arrière et qu’il estoit trop près ; et lors ledit suppliant cuidant que ledit Simon, sondit cousin3, se feust assez tiré en arrière pour ce qu’il ne le veoit pas, parce qu’il estoit sur la main senestre dudit suppliant et le regardoit faulcher. Et en faulchant et ramenant son coup par derrière, ainsi que font tous aultres faulcheurs, de force et de tout son povoir, et sans ce qu’il pensast à aucun mal faire audit Simon, son cousin, rencontra icellui Simon de la poincte de sadicte faulx en la cuysse senestre à l’endroit de la souriz et le blessa tellement que de ladicte playe yssit grant effusion de sang et incontinant ledit Simon se escria à haulte voix : « Je suis mort. » Voyant ledit suppliant que sondit cousin estoit ainsi blecé, fut moult esbahy, cuidant qu’il ne fust pas si près de lui, appella lesdiz Marans et autres qui estoient illec environ, qu’ilz viensissent à son aide, print icellui suppliant du couston et autres draps pour mettre sur ladicte plaie, les pria et requist qu’ilz le gardassent [p. 24] jusques à ce qu’il feust allé audit lieu de Triaise pour avoir de l’aubin, de l’euf et des estoupes et autres choses à le sublever et aider. Lequel suppliant fist dilligence de apporter lesdictes chose et si tost qu’il fut arrivé oudit pré ledit Simon avoit ja perdu presque tout son sang, mais pour quelque choses qu’ilz peussent faire, ne le peurent estancher ; et lors fut advisé entre eulx de le porter audit lieu de Triaise, distant d’illec de deux traiz d’arc ou environ. Et ainsi qu’ilz le vouldrent prandre, ledit Simon alla de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et ne oseroit jamais retourner, converser ne demourer, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, en nous humblement requerant que, attendu que ledit suppliant ne l’a fait par malice et que, pour preserver et garder ledit feu Simon il a fait ce que possible lui a esté et est ung cas fortuit, et que icellui suppliant a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques avoir esté actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme on reprouche, nous lui vueillons sur ce impartir nostredicte grace et misericorde. Pourquoy, etc. voulans, etc., audit suppliant avons ou cas dessusdit, de nostre grace especial, plaine puissance, etc., quicté, etc., quictons, etc. le fait et cas dessus-dit, avec toute peine, etc., en quoy, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous, etc., que de noz presens grace, etc. facent, etc., sans lui faire, etc., ainçois se son corps, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. soixante quinze, et de nostre règne le quatorzeiesme.

Ainsi signé : Par le conseil, d’Asnières. — Visa. Contentor. J. Picart.


1 Le mot bot avait la signification de digue ou bord surélevé d’un canal d’écoulement des eaux, digue qui servait de chemin. Sur cette expression et les autres employées dans ce texte pour désigner des particularités propres aux pays de marais, on peut consulter le glossaire que M. Etienne Clouzot a joint à son savant travail intitulé : les Marais de la Sèvre niortaise et du Lay, du Xe à la fin du XVIe siècle. Paris, Niort, 1904, in-8°. Cet ouvrage fournit d’ailleurs quelques renseignements sur l’état, à diverses époques, des marais de Triaize et du Vignaud. (Voy. notamment p. 58, 64, 122, 170, 171.)

2 Suivant Fr. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française, le mot vieille, vielle ou veille avait, à lui seul, le sens de meule de foin ou de paille, particulièrement dans l’Aunis et le haut Maine.

3 Au début du texte, c’est le fils du suppliant qui est appelé Simon, et son cousin Jacques le jeune [L.C.]