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MDLXXIII

Rémission, moyennant une aumône de cent sols et un pèlerinage à N.-D. de Celles accordée à Berthomé Bedart, dit Bersuire, chaussetier de Poitiers, recherché pour le meurtre d’Huguet Pasquier. Celui-ci lui ayant cherché querelle, l’ayant injurié et menacé, il lui avait, en le repoussant, porté un coup de poignard, auquel ledit Pasquier avait succombé au bout de huit jours.

  • B AN JJ. 201, n° 85, fol. 67 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 87-90
D'après a.

Loys, etc. Savoir, etc., nous, etc., de Berthomier Bedard, dit Bersuyre, chaussestier, demorant à Poictiers, aagé de xxvi. ans ou environ, contenant que, le jour de la Penthecoustre derreniere passée, ledit suppliant, Jehan Dumas, Laurant Richart, Jehan Gauvain, André Gautié et plusieurs autres compaignons tous ensemble, se trouvèrent en la grant rue Saint-Ladre dudit Poictiers, en une maison dont il ne set le non, et illec burent ensemble sans avoir discencion les ungs avecques les autres, et s’en allèrent ensemble jusques au cemistère Saint-Cibart ; et quant il y furent, ledit Guillaume demenda s’il y avoit aucun qui voulsist entreprandre de geter la boulle depuis le coing de la maison de Janolhac en xiiii. copz, icellui suppliant respondi que il la lui bailleroit en xiii. depuis ledit coing jusques à Sacheignes1, ce que ledit suppliant print a geter en xiii, copz parmy ce qu’il suivroit sa boulle, mes que, s’il la mettoit aux vigniez, il perdroit. Et ledit Guillaume adonc geta deux grans blans à terre pour la misallie2, ce que ledit suppliant en mist autant. Et print feu Huguet Pasquier les gages d’ung cousté et d’autre, et ledit suppliant [p. 88] bailla en garde ses robes, chappeau et cornette à ung nommé Georget, varlet d’ung nommé Copeau, patissier ; en laquelle cornette y avoit cinq grans blans, et desnoua ledit deffunct Pasquier ladicte cornette, et ledit suppliant lui dict : « Huguet, quant vous aurez fait, appellez-moi. » Et ledit Huguet bailla ladicte cornette toute desliée, en disant : « Regardez si j’ay rien prins. » Et ledit suppliant dist : « Je ne me deffie point de vous. » Et assez près de là, une nommée Simonne lui osta sa cornette et chappeau du col, et il lui dist : « Laissez cela », et la lui rendit sans rien prendre. Et il regarda en sa dicte cornette, et desdiz cinq grans blans, n’en trouva que ung. Et ledit Huguet dist que il n’en savoit riens et qu’il ne l’avoit pas, et ledit suppliant respondit qu’il ne l’en chargoit point, mes qu’il les avoit perduz ; et ledit varlet dist audit suppliant : « J’ay veu desnoyer vostre cornette à Huguet, mais je ne sçay s’il y a rien prins. » Et une heure après, le dit pastissier appella ledit suppliant et lui demanda s’il voulloit souper avecques lui, et il lui respondit : « Grant mercy » et qu’il estoit marry de son argent. Et illec survint ledit Huguet ; ledit supliant et autres estoient au carrefour Saint-Hilaire veoir jouer les jeux, et puis s’en allèrent hors ladite ville, pour estre à une repetition de certain jeu qu’ilz voulloient jouer de la Sainte Hostie3, où ledit suppliant receut ung rolle pour estre du jeu. Et le dit Huguet lui demanda s’il le souppessonoit de son argent. A quoy ledit suppliant respondit : « Vous denouastes ma cornette ; pour ce je vous [p. 89] souppessonoye. » Et sur ce eurent plusieurs grosses parolles, et puis s’en alla souper en l’ostel de ladite Simonne et illec mangèrent d’un pasté, et en soupant lui furent randus cesdiz quatre grans blans par ung …4, de la dite Simonne, qui disoit les avoir trouvez. Et peu de temps après, ledit suppliant vit ledit Huguet et le appella et lui dit : « Huguet, mon amy, je vous prie que me veulliez pardonner de ce que vous ay souppessonné de mon argent ; il m’a esté rendu » ; et il lui respondit : « J’en suis joyeulx et ne vous en veulx point de mal. » Et atant s’en alla ledit feu Huguet. Et ce dit jour, survint ledit feu Huguet, mout esmeu, et dist audit suppliant : « Tu as, Dieu mercy, trouvé ton argent. » Lequel luy respondit : « Sy, mon » (sic). Et lors ledit Huguet lui dist plusieurs parolles injurieuses et mauvaises, en l’apellant païlliart, coquin, truant, ruffian et autres injures mal sonnantes, en disant : « Tu ne vaulx rien, tu mourras à l’Ostel-Dieu. » Et lors Jehan Gaultier, coureieur, estant assis près dudit Huguet [lui dit] qu’il estoit un meschant homme de dire tant de injures audit suppliant. A quoy ledit Huguet respondit : « Va, pailliart, ruffian, de quoy te mesle-tu ? Tu le soustiens par ce qu’il est ruffian comme toy », et en lui disant parolles injurieuses, très mal sonnans, et qu’il n’y avoit ribaude en Poictiers de quoy il ne tirast argent et qu’il n’avoit chouses roges d’autre chose (sic). A quoy ledit suppliant respondit qu’il avoit manti ; et lui dist ledit Huguet plusieurs autres parolles injurieuses et leva le poing pour le cuider frapper ; lequel retint le copt du bras et tira ung petit poignart qu’il avoit à sa sainture et de copt de malavanture lui en bailla ung copt soubz le braz droit, dont ledit Huguet se escria, disant qu’il estoit mort. Et lors ledit suppliant, pour éviter le dangier, s’en alla en franchise. [p. 90] Et huit jours après est allé ledit Huguet de vie à trespas. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant est encores en ladite franchise, dont il n’oseroit, etc., se noz grace, etc., humblement requerant, etc. Pour ce est-il que nous, considéré ce que dit est, etc., avons audit suppliant quicté, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc., que de noz dictes grace, etc., il facent, seuffrent et laissent joïr, etc., pourveu que ledit suppliant sera tenu bailler, premièrement et avant toute euvre en l’église où le corps dudit deffunct a esté ensepulturé la somme de cent solz tournois pour convertir pour faire prier Dieu pour l’ame d’icellui deffunct. Et aussi sera tenu faire ung voyage et pellerinage a Nostre-Dame de Selles pour pénitence salutaire et en rapporter certifficacion souffisante dedans quinze jours après la presentacion de ces presentes. Et affin, etc. Donné à Tours, ou moys d’aoust, l’an de grace mil iiiic lxxvi, et de nostre règne le xvie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion des gens de son grant Conseil. Sacierges5. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Sic, par interversion de lettres, pour Chassaigne, lieu dit en la ville de Poitiers, sur les bords du Clain, où étaient des moulins.

2 Pour « misaille », gageure, pari, enjeu, mot encore en usage, avec cette signification dans tout le Poitou et dans la Saintonge, dit F. Godefroy. (Dict. de l’anc. langue française, t. V, v° Misaille.)

3 Il s’agit très vraisemblablement du mystère de l’hostie transpercée par un juif, qui ne put arriver à la détruire et ne réussit qu à en faire jaillir du sang. Dénoncé, le sacrilège fut saisi, jugé et brûlé. Le miracle de l’hostie ensanglantée passait pour avoir eu lieu à Paris, au xiiie siècle, et l’église des Carmes, dites les Billettes, aurait été fondée en mémoire de cet événement. Petit de Julleville donne l’analyse de ce drame et en indique deux anciennes éditions et une réimpression de l’année 1817. (Histoire du théâtre en France. Les Mystères, Paris, Hachette, 1880, 2 vol. in-8°, t. II, p. 574.)

4 Sic. Un mot passé, sans doute « compagnon ».

5 Pierre de Sacierges, qui devint évêque de Luçon en 1495. (Cf. le vol. précédent, p. 365, note 2.)