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MDXCII

Rémission en faveur de Louis Gaulteron, homme de labour, demeurant en Poitou, coupable du meurtre de son frère Pierre, mauvais sujet et ivrogne, qui l’avait injurié et le menaçait d’un bâton, ce qui le força à frapper pour se défendre.

  • B AN JJ. 206, n° 1092, fol. 236 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 157-159
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Loys Gaulteron, homme de labour, demourant en Poictou, contenant que Jehan Gaulteron son père jà pieça maria ledit suppliant et feu Pierre Gaulteron, ses enfans, lesquelz ont tousjours depuis demouré avecques luy par l’espace de huit ou dix ans, pendent lequel temps ledit feu Pierre Gaulteron a esté de vie dissolue et tavernier sans vouloir entendre au labeur, ainsi que faisoient ledit suppliant et sondit père, dont souvantes foiz estoit reprins par leurdit père, mais il ne s’en vouloit chastier, ains prenoit souvant les biens de l’ostel, quant il en povoit trouver aucuns, et [p. 158] quant il n’en povoit avoir, levoit souvantesfoiz les serrures, rompoit les huys et faisoit plusieurs dommaiges à l’ostel de sondit père, et souvantes foiz injurioit sondit père et vouloist batre et tuer ledit suppliant, son frère, quant il luy remonstroit ses faultes. Et encores puis Noël ença, icelluy Pierre Gaulteron qui s’estoit mis en aguet pour faire desplaisir à sondit père, le trouva en chemin venant de la messe, le print au colet et le trayna jusques sur le bort de la rivière et le vouloit gecter dedans, si n’eussent esté troys femmes qui le luy rescoyrent et ostèrent. Et quant il vist qu’il n’estoit pas le plus fort, il mist la main au sein de sondit père et luy arracha sa bourse et l’emporta avec l’argent qui y estoit. Dont ledit suppliant, quant il sceut ledit cas fut très desplaisant et en reprint ledit son frère ; mais il n’en tint compte, ains le injuria et menassa de batre et tuer d’une dague qu’il avoit. Mais les femmes desdiz Gaulterons apaisèrent ledit debat. Et en continuant ledit Pierre Gaulteron lesdictes tavernes, quant il en retournoit faisoit plusieurs noises et debatz, parce qu’il estoit très souvant yvre et continuoit tousjours en sa meschante vie, tellement que tous ceulx de l’ostel en estoient mal contens. Et puis naguières ledit Pierre Gaulteron, qui estoit tout yvre, venant de la taverne, entra en la vigne de sondit père, où il trouva ledit suppliant qui tailloit ladicte vigne, et se print à rompre et extirper les seps d’icelle vigne ; ce que voyant ledit suppliant son frère luy dist par plusieurs foiz bien doulcement qu’il s’en alast et qu’il gastoit tout, dont ledit [Pierre] Gaulteron ne fut pas content et le voult oultrager, en gectant des pierres et bastons contre luy, tellement que pour obvier à sa malice, ledit suppliant fut contrainct de soy oster d’illec et delaisser sa compaignie. Et tantost après ledit Pierre Gaulteron, aussi yvre qu’il estoit, s’en ala à l’ostel de sondit père et entra au celier, ouquel avoit certaines pièces de vin et osta le bondon de la meilleur pièce de vin qui y fust et se print à [p. 159] boyre ledit vin avec ung grant chalumeau qu’il avoit ; en quoy faisant, ledit suppliant survint illec et luy remonstra qu’il faisoit mal de gaster, boyre et esvanter ledit vin, qui estoit le meilleur vaisseau de vin qui fust céans et dont ilz povoient avoir le plus d’argent pour paier leurs tailles. Dont ledit Pierre Gaulteron ne fut pas content, mais en regnyant le nom de Dieu et jurant la char Dieu, dist audit suppliant que en despit de son visaige il en buroit à sa voulenté ; et print une grosse courge ou baston de quoy on va quérir l’eau et s’efforça d’en bailler sur la teste audit suppliant, son frère. Lequel, pour obvier audit cop se recula, mais ledit Pierre le suyvoit, tousjours cuidant le fraper, et ainsi que ledit suppliant se reculoit pour évader lesdiz cops de son dit frère, qui le suyvoit tousjours, le baston tout hault levé, icelluy suppliant rencontra audit celier ung baston ferré, lequel il print pour obvier à ce que son dit frère ne le frapast, et en soy défendant frapa ledit Pierre, son frère, en la cuisse et luy fist une playe d’environ deux doiz. A cause de quoy ledit feu Pierre Gaulteron, dedans cinq ou six jours après, ala de vie à trespas. Et saichans le père dudit suppliant et la femme du trespassé que ledit cas estoit advenu sans malice precogitée par ledit suppliant, et dont il estoit et est très desplaisant, luy ont pardonné ledit cas. Mais neanmoins il dobte, etc., se nostre grace, etc. Pour quoy nous, etc., audit suppliant avons quicté, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys d’avril, l’an de grace mil cccc. soixante et seize avant Pasques, et de nostre règne le xvime.

Ainsi signé : Par le conseil. Puygirault. — Visa. Contentor. Picart.