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MDXC

Rémission octroyée à Mathurin Gougon, coupable du meurtre d’un compagnon charpentier, sur le chemin entre Lussac-les-Eglises et Mondon. En réponse à une demande courtoise dudit Gougon, ce compagnon l’avait injurié et menacé de sa cognée.

  • B AN JJ. 195, n° 1629, fol. 413 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 150-153
D'après a.

Loys, etc. Savoir, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion [p. 151] de Mathelin Gougon1, jeune compaignon de l’aage de vingt-cinq à vingt-six ans ou environ, contenant que, environ le xxiiie jour de fevrier derrenier passé, Jehan Rigault, Estienne, frère dudit Anthoine2 Rigault3, escuier et homme d’armes de nostre ordonnance soubz la charge du sire de Saint-Pierre4, lui estant ès marches de par deça en nostre service, comme encores est, envoya Adam Palateau en l’ostel d’un mareschal d’icelle ville, pour illec querir et amener ung cheval de poil rouen, qui appartenoit à Daulphin Rigault, son frère, que ledit Daulphin y avoit laissé pour le faire penser et guérir d’une maladie. [p. 152] Et en y allant, ainsi que ledit suppliant fut entre Lussac-les Eglises et Mondon, et comme au millieu du chemin desdiz lieux, ledit suppliant rencontra deux ou trois charpentiers et deux autres hommes et une femme, desquelx charpentiers estoit feu … …5 ausquelx tous ensemblement ledit suppliant requist tout gracieusement qu’il leur pleust de lui monstrer le chemin qui lui convenoit tenir pour aller au Chezeau où il lui estoit de necessité passer. A quoy lui fut par aucuns desdiz charpentiers ou autres de leur dicte compaignie respondu arrogamment, en eulx mocquant dudit suppliant, qu’il allast toujours ou autres tels et semblables motz en effect et substance. Pour laquelle cause ledit suppliant, qui bonnement ne sçavoit quel chemin il devoit aller, en leur disant qu’ilz estoient bien fiers et de grant orgueil, se approucha pour prandre ung jeune filz qui estoit de leur dicte compaignie par la main, en leur disant oultre que ledit jeune enfant lui monstreroit sondit chemin. Sur lesquelles parolles ledit deffunct tres furieusement et ayant sa coyngnée en sa main, en s’aprouchant dudit suppliant et faisant manière de le vouloir frapper de ladicte coyngnée, lui dit qu’il n’y entreroit jà. Et ce voyant ledit suppliant, et pour obvier à la fureur dudit deffunct et à ce qu’il ne le meurtrist, bleçast ou occist de sadicte coyngnée, se tira arrière de lui en tournant le bois de sa javeline, pour en vouloir frapper ledit deffunct, mais il advint en ce faisant, par chaude colle et pour ce que tousjours icellui deffunct agressoit ledit suppliant en le poursuyvant et parceverant de le vouloir frapper de sadicte coyngnée, que icellui suppliant tourna sadicte javeline devers le fer, de laquelle il frappa ledit deffunct par la teste, dont il rompy le bois de sadicte javeline, et le fer d’icelle sailly de l’autre cousté, et atant se [p. 153] departy d’illec ledit suppliant et s’en alla son chemin le mieulx qu’il peut. Et au regard dudit deffunct, il s’en retourna où bon lui sembla. Et toutesfoiz ledit suppliant a esté adverty que ledit deffunct, à l’occasion dudit coup, deux jours après est allé de vie à trespas. Pour occasion de laquelle chose, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est mis en franchise, dont il n’oseroit jamais partir et seroit en voye de miserablement y finir ses jours, se nostre grace et misericorde ne lui estoit et est sur ce impartie, si comme il dit, en nous humblement requerant que, attendu que ledit cas, duquel ledit suppliant est très desplaisant, est advenu par cas d’avanture et chaude colle, et ne cuydoit ne avoit icellui suppliant intencion de frapper ledit deffunct en manière qu’il en mourust, mais seullement pour résister et obvier à ce qu’il ne le frappast de sadicte coyngnée, et aussi qu’il ne fut jamais actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, ains en autres choses a tousjours esté bien famé et renommé, il nous plaise sur ce impartir audit suppliant nostre dicte grace et miséricorde. Pourquoy, etc., audit suppliant le fait et cas dessus dit, avons quicté, remis et pardonné, quictons, etc. avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné à Arras ou mois de mars, l’an de grace mil cccc. soixante seize, et de nostre règne le seizeiesme.

Ainsi signé : Par le roy, le duc de Calabre6, le sire de Nerbonne7 et autres presens. Garreau. — Visa. Contentor. J. de Moulins.


1 Nous avons rencontré, à cent ans de distance, dans les registres du Parlement, deux membres de cette famille : Pierre Gougon, capitaine de Rais pour la dame du lieu, qui était en procès contre Béthis Rouault, chevalier, le 8 avril 1376 et le 12 mars 1378 (Arch. nat., X2a 10, fol. 16 et 67) ; et Jean Gougon, seigneur en partie du Puymacé, appelant de Gillet Corbeau, sergent royal à Thouars, contre Alexis Yongue, écuyer, en matière d’excès et attentats. (Plaidoirie du 28 mai 1462, après-dîner, X2a 32.)

2 Sic. Ce passage paraît être tronqué. Le texte de ces lettres de rémission a d’ailleurs été transcrit avec une grande négligence.

3 Un arrêt criminel du Parlement, portant la date du 14 mars 1487, nous fournit quelques renseignements sur Jean et Antoine Rigault. En 1468, ou au commencement de 1469, ce dernier avait pris pour femme Annette de Brayghemet, damoiselle, alors veuve de Jean Le Vacher, en son vivant seigneur de Bagneux et du Teillis, et mère d’une fille nommée Madeleine, qui était âgée de trois ou quatre ans à la mort de son père. Mécontent de cette union, Gilbert Le Vacher (sans doute le frère du défunt) envahit, en l’absence d’Antoine Rigault, l’hôtel fortifié de Teillis où demeuraient Annette et sa fille, à la tête de douze ou quinze hommes armés ses parents ou alliés, en brisa les portes et les fenêtres, mit la maison au pillage, emmena la mère et la fille et les sequestra. Le 24 mai 1469, Antoine Rigault et sa femme obtinrent des lettres pour informer de ces violences et en ajourner l’auteur personnellement devant le sénéchal du Poitou. Gilbert non seulement n’obéit pas à cette assignation, mais il trouva moyen de se faire délivrer un décret de prise de corps contre son adversaire, autrement de faire traîner les poursuites en longueur. Dans l’intervalle, Jean Rigault, frère d’Antoine, devint l’époux de Madeleine Le Vacher, ce qui mit de nouveau en fureur Gilbert, lequel renouvela ses premiers exploits, s’empara par la force du Teillis et y prit les meubles et les approvisionnements. D’où nouvelles informations, assignations, procédures dilatoires, si bien que l’affaire dura dix-huit ans. Satisfait apparemment de ce résultat, Gilbert se laissa condamner cinq fois par défaut. La date du dernier arrêt est du 14 mars 1487. (Arch. nat., X2a 56, fol. 14.)

4 Jean Blosset, seigneur de Saint-Pierre et de Carrouge, capitaine d’une compagnie de cent lances. (Cf. ci-dessus, p. 78, note.)

5 En cet endroit du registre, six à huit mots ont été laissés en blanc.

6 Charles II d’Anjou, duc de Calabre, comte du Maine, vicomte de Châtellerault, etc. (Cf. ci-dessus, p. 41 note.)

7 Jean de Foix, vicomte de Narbonne, puis d’Étampes, par don de Louis XI en 1748, depuis gouverneur du Dauphiné et du Milanais, second fils de Gaston de Foix et d’Eléonore d’Aragon. Après la mort de son neveu, en 1483, il prétendit succéder à la couronne de Navarre, à la souveraineté de Béarn et aux comtés de Foix et de Bigorre, ce qui excita de grands troubles dans le Béarn. Il accompagna Charles VIII à la conquête du royaume de Naples et mourut à la fin de l’année 1500. Il avait épousé Marie d’Orléans, sœur de Louis XII. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. III, p. 377.)