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MDCXXXV

Rémission donnée en faveur de Jean d’Oiseaumesle (Eaux-Melles), bâtard de Razilly, poursuivi pour avoir, à l’instigation du sr de Villiers, dirigé une expédition ayant pour but de vendanger une vigne litigieuse entre Chardon Pinain et David Chamber, écossais, et d’où résulta un conflit armé dans lequel deux partisans dudit Chamber furent tués et un blessé.

  • B AN JJ. 205, n° 431, fol. 245 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 278-284
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan d’Oyseaumesle, bastard de Rasillé, aagé de trente cincq ans ou environ, natif de la parroisse du Ruffé, contenant que, ou moys de septembre derrenier passé, en la saison de vendanges, à ung jour de mercredi, Thomas Le Dar, archier de retenue soubz la charge et compaignée de nostre amé et féal cousin, conseiller et chambellan, le sire de Loheac1, mareschal de France, vint et arriva au lieu d’Oyseaumesle2, où il trouva ledit suppliant et Jehan Bascher et leur dist que, le dimenche precedent, Jehan de Rasillé3, chevalier, seigneur dudit lieu d’Oyseaumesle, venant de Montpensier où il estoit allé et retournant en sa maison dudit lieu d’Oyseaumesle, rencontra en son chemin, près le lieu de Villiers, ung nommé Chardon Pinan, qui salua ledit seigneur de Rasillé ; et [p. 279] demanda audit Chardon où estoit le seigneur de Villiers4. Auquel ledit Chardon respondit qu’il n’estoit pas loing et qu’il avoit grant desir de parler à luy. Et en disant ces parolles, ledit seigneur de Villiers arriva oudit chemin devant ledit sr de Rasillé, et s’entresaluèrent. Et après ce, ledit seigneur de Villiers dist audit seigneur de Rasillé telles parolles ou semblables : « Je vous prie que me vueillez prester deux ou troys de voz gens pour vendanger une vigne. » Lequel seigneur de Rasillé luy dist que ce qu’il avoit estoit à son commandement. Et le mercredi ensuyvant, ainsi que ledit seigneur de Rasillé s’en alloit dudit lieu de Montpansier audit lieu d’Oyseaumesle, acompaigné dudit Thomas Le Dar, en passant près dudit lieu de Villiers, rencontra de rechief ledit seigneur de Villiers, qui luy accorda bailler et prester ses gens, comme il avoit fait le dimenche precedent. Et ces parolles dictes, pour ce que ledit seigneur de Rasillé avoit oy les chiens dudit seigneur de Villiers, qui chassoient, passa oultre et se departy dudit seigneur de Villiers, en la compaignie duquel ledit Thomas Le Dar estoit, qui avoit demandé audit de Villiers, en l’absence dudit de Rasillé, où ledit Chardon voulloit mener les gens dudit de Rasillé, lequel de Villiers luy dist [p. 280] que c’estoit pour vendanger une vigne que David Chambre5 empeschoit audit Chardon. Et après ces parrolles, s’estoient departiz ledit de Villiers et Le Dar, et s’en estoit venu apprès eulx ledit seigneur de Rasillé audit lieu d’Oyseaumesle6 … Et qu’il leur falloit incontinent aller audit seigneur de Villiers, pour vendangier ladite vigne ; auquel Le Dar ledit suppliant demanda où il falloit aller et contre qui, et qu’il n’yroit point si ne savoit contre qui et où s’estoit. Lequel Thomas Le Dar luy respondit que c’estoit contre David Chambre, pour aider à Chardon Pinain à vendanger une pièce de vigne. Et en après, environ vii. heures de nuyt, icelluy suppliant, lesdiz Thomas Le Dar et Jehan Baschier se departirent dudit lieu d’Oyseaumesle an deceu dudit seigneur de Rasillé qui estoit couchié et s’en allèrent en l’austel de Regnault Boulleau7 au lieu de Chalmon, et après en l’austel de Jehan Leroy et de Pierre Gaudin au bourg de Bournan, lesquelz ilz menèrent avec eulx, et de là allèrent audit lieu de Villiers et appellèrent [p. 281] à la porte ; et vint parler à eulx ledit Chardon, et luy demandèrent où estoit ledit seigneur de Villiers ; lequel respondit qu’il estoit couchié. Et oultre leur dist icelluy Chardon qu’ilz entrassent et allassent tous parler à luy, ce qu’ilz firent. Et eulx entrez, ledit suppliant demanda audit seigneur de Villiers où ilz devoient aller et qu’il avoit amené des gens, mais qu’il voulloit bien savoir qui les garantiroit. Lequel de Villiers dist que ledit Chardon avoit bien de quoy les garantir et qu’il les garentiroit. Et alors ledit suppliant dist audit sr de Villiers que pour ledit Chardon ilz ne yroient point, mais finablement, après plusieurs parolles, ilz s’acordèrent d’aller avec ledit Chardon. Et avant leur partement, ledit suppliant dist audit seigneur de Villiers ces parolles : « Si on nous assault, nous laisserons-nous tuer ? » Lequel de Villiers respondit : « Vous vous pouvez bien deffendre, et ne vous laissez point oultragier. » Et les fist boire et mangier, et print ledit Chardon deux arbalestes en l’ostel dudit seigneur de Villiers, dont il en bailla l’une audit suppliant et retint l’autre et si leur bailla le traict de mesme, en leur disant : « Si l’on nous assault, voyez cy pour nous deffendre » ; et ce fait, prindrent congié et se departirent. Et les mena en une vigne assise près Saint-Jehan de Tissay, où ilz furent sans riens faire jusques au jour ; et au poing du jour, ledit Chardon commanda aux serviteurs dudit seigneur de Villiers, à icelluy suppliant et audit Ledar et Barchier qu’ilz vendangeassent ladite vigne ; et en vendangeant, une heure après soulleil levant ou environ, arriva illec Joch Maigny, acompaigné d’un nommé Gobin, Escossois, et autres garniz d’une arbaleste ares flenches8 et autres bastons invasibles. Et incontinent, sans riens dire, tirèrent huit ou dix fleiches contre ledit suppliant et autres estans [p. 282] en sa compaignie et en blessèrent ung. Et lors ledit suppliant et ses diz compaignons s’écrièrent en leur disant : « Messieurs, que voulez-vous faire, ne tirez point. Se vous voyez que vous faisons tort, nous voulons prandre droit par justice et offrons d’y obeyr. » En disant lesquelles parolles, lesdiz Joch Maigny et ses alliez et complices s’approuchèrent tellement dudit suppliant et de sesdiz compaignons qu’ilz estoient près à joindre ensemble. Et se avança le premier ledit Joch devant les autres ses complices, ayant ung arc tout tendu en ses mains et une fleiche enfoncée dedans ledit arc prest de tirer, ledit Thomas Ledar aiant aussi une arbaleste bandée en sa main, ung trait dessus ; lequel Ledar, doubtant que ledit Joch tirast contre luy ladite fleiche dont il l’eust peu tuer, tira le premier contre ledit Joch et le frappa par l’estomag. Et incontinent que ledit Joch fut frappé, tira une grant dague qu’il avoit et vint contre ledit Thomas Ledar qui s’enfuioit, pour le tuer. Et après que ledit Joch eut ainsi suyvy ledit Thomas, acompaigné de deux autres ses aliez et complices, ledit Thomas passa par dessus la haye de ladite vigne et ledit Joch cheut illec comme mort à terre. Et incontinent ledit Dar, tout esmeu de chaude colle, banda de rechief son arbaleste et retourna vers les autres compaignons, et en s’en retournant trouva ledit Joch qui estoit en ladite vigne, et dist ledit Thomas Le Dar audit Gobin, qui avoit son arc tendu et sa fleiche dedans enfoncée : « Lasche ton arc, ne tire point, ou je te tueray » ; dont il ne voulut riens faire. Et à ceste cause ledit Ledar, doubtant et cuidant que ledit Gobin voulsist laschier sadicte fleiche sur luy, pour obvier au coup, desbanda sadicte arbaleste et frappa dudit traict parmy le coul ledit Gobin, lequel incontinent qu’il se sentit blessé, gecta à terre sondit arc et tira son espée. Et ledit Thomas tira aussi la sienne et joignirent ensemble, tellement que ledit Ledar frappa icelluy Gobin en manière que la mort s’en ensuyvit. Et ce fait ledit Ledar [p. 283] et les autres s’en allèrent tantoust après et emportèrent une espée, une dague et deux arcs ; et demourerent lesdiz Joch et Gobin mors et ung autre blessé, et les autres leurs complices s’enfuirent. A l’occasion duquel cas, le dit suppliant s’est absenté du pays, pendant laquelle abscence, à la requeste de nostre procureur ou baillyage de Touraine, icelluy suppliant a esté adjourné par plusieurs termes et cry public, comme l’en dit, à comparoir en personne au siège royal dudit baillyage en nostre ville de Chinon sur peine de confiscation de corps et de biens et d’estre actaint et convaincu des cas dessusdiz. Ausquelz jours et assignacions il n’a osé comparoir ne obeir pour doubte de choir en danger de sa personne, et par ce a esté mis en plusieurs deffaulx. Au moien desquelz deffaulx ou autrement il a esté déclaré contumax et banny dudit baillyage de Touraine et ses biens declairez confisquez. Pour lesquelles causes ledit suppliant n’oseroit plus retourner, demourer ne converser ou pays, doubtant rigueur de justice, se noz grace et miséricorde ne luy estoient sur ce imparties. En nous humblement requerant que, attendu que ledit Joch Maigny et ses gens et complices furent premiers agresseurs et tirerent plusieurs fleiches contre ledit suppliant et sesdiz compaignons, ainçois qu’ilz tirassent aucun trait ne feissent aucune resistance et qu’ilz s’efforcèrent par parolles amiables faire cesser ledit Joch et offrirent mettre leur cas et debat en justice ; aussi que en tous ses autres cas ledit suppliant a toujours esté de bonne vie et renommée, selon son estat, sans avoir esté actaint ne convaincu d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise sur ce luy impartir nosdites grace et misericorde. Pour quoy nous, considéré ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant ou cas dessus dit, en l’onneur et revevance de la passion de nostre Sauveur Jhesu Crist, qui à tel jour qu’il est aujourd’uy, souffrit mort et passion pour nous, avons quicté, remis et pardonné, [p. 284] et par la teneur de ces presentes, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, quictons, remetons et pardonnons le fait et cas dessus dit, avec toute peine, offence et amande corporelle, criminelle et civile en quoy, pour l’occasion dudit cas, il peut ou pourroit estre encouru, envers nous et justice. Et l’avons restitué et restituons à sa bonne fasme et renommée, au pays et à ses biens non confisquez, en mettant au neant tous appeaulx à ban, deffaulx et adjournemens, coutumaces, sentences, banissemens, declaracions et tout ce que, au moien desdiz deffaulx, s’en est ou pourroit estre contre luy ensuy. Satisfacion faicte à partie civillement tant seullement, se faicte n’est. Et sur ce imposons sillence perpetuel à nostre procureur, present et avenir, et à tous autres. Si donnons en mandement, par cesdictes presentes, au bailly de Touraine et des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers ou à leurs lieutenans, presens et advenir, et à chacun d’eulx, si comme à luy appartiendra, etc. Donné au Plessis du Parc lès Tours, au moys d’avril, l’an de grace mil iiiic soixante dix huit, avant Pasques, et de nostre règne le dix-huitiesme.

Ainsi signé : Par le roy tenant ses requestes. J. Duban. — Visa. Contentor. F. Texier.


1 André de Laval, seigneur de Lohéac, amiral, puis maréchal de France ; il était aussi seigneur de Rais par son mariage avec Marie, fille unique de Gilles de Rais et de Catherine de Thouars, dame de Pouzauges, et vivait encore en 1484. (Cf. notre neuvième vol., t. XXXII des Arch. hist., p. 398, note, et notre volume précédent, t. XXXVIII des Arch. hist., p. 97, note.)

2 Aujourd’hui les Eaux-Melles, hameau de la commune de Roiffé (Vienne), était un ancien fief relevant du château de Loudun. On trouve aussi ce nom de lieu sous la forme les Aumesles.

3 Jean de Razilly, chevalier, seigneur du lieu, était fils d’un autre Jean et frère de Marguerite, femme d’Antoine d’Argenton. (Voy. notre vol. précédent, p. 374, note 2.) Jean de Razilly, le père, avait obtenu de Charles VII des lettres patentes, datées d’Angers, le 17 décembre 1439, lui permettant de fortifier son château de Razilly, et la reine Marie d’Anjou, par autres lettres données aux Montils, près Tours, le 9 août 1440, acquiesça, en ce qui la concernait, à cette décision. Louis XI dans un séjour qu’il fit à Razilly, au mois de janvier 1465 n.s., accorda à son tour, au personnage ici mentionné, l’autorisation de chasser dans une étendue de quatre arpents faisant partie de la garenne royale dans la forêt de Chinon, autorisation confirmée par d’autres lettres de Charles VIII, audit lieu de Razilly, au mois de mars 1489, en faveur du même Jean, qui mourut l’année suivante. M. Carré de Busserolle a publié ces quatre actes royaux dans son Dict. géographique, hist. et biogr. d’Indre-et-Loire, t. V, p. 263 et suiv.

4 Entre Montpensier et les Eaux-Mêles, points très rapprochés d’ailleurs, on ne trouve qu’une localité de ce nom. C’est Villiers-Boivin, dont était seigneur Aymar Le Brun, à cause de sa femme Françoise, fille aînée d’Eustache Boivin. Du moins il est ainsi qualifié dans un acte du 27 août 1476. Comme ils n’eurent pas d’enfants, la seigneurie passa, on ne dit point à quelle date, à Simonne Boivin, sœur de Françoise, et à Jean du Rivau, son mari. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. I, p. 597.)

5 Ce David Chambers, non plus que Joch Mailly et Gobin, autres archers écossais nommés dans le présent acte, ne figure plus ou ne figure pas encore sur les états du personnel de la garde écossaise fournis par les comptes de Pierre Parent, commis au payement de ses gages, pour les années 1475 et 1476. (Arch. nat., KK. 67.) Il appartenait évidemment à la même famille que Nicole Chambers, dit de la Chambre, seigneur de la Guerche, de Villeneuve-la-Comtesse et de Champagne-Mouton, capitaine de la garde écossaise de Charles VII, qui a été l’objet de notices dans deux de nos précédents volumes (Arch. hist. du Poitou, t. XXXII, p. 366 ; t. XXXV, p. 10), quoiqu’il ne soit pas mentionné dans le fragment de généalogie de cette famille publié dans la nouvelle édition du Dictionnaire des familles du Poitou, t. II, p. 226. M. Francisque Michel, parlant de notre personnage ou d’un homonyme, dit : « En 1458, David et Jean Chambers servaient également comme archers du corps du roi dans la garde écossaise. Ce dernier fut naturalisé français sous Louis XI, par lettres du 12 juin 1462, en même temps que Robert Vernon, Thomas Aigue et Jean Nesbut. Quant à David Chambers, tout ce que nous en pouvons dire, c’est qu’il faut soigneusement le distinguer de son homonyme venu en France environ dix ans après. » (Les Écossais en France et les Français en Écosse, in-8°, t. I, p. 231.)

6 Il y a évidemment ici une lacune dans le texte [L.C.].

7 Ou Boulliau, famille loudunaise illustrée au xviie siècle par Ismaël Boulliau, astronome, géomètre, érudit.

8 Sic. Il faut voir ici, sans doute, une faute de lecture, et remplacer ce mot par « avec flèches ».