1 Eustache Des Granges
était le fils aîné de six frères et sœurs, de Louis Des Granges,
écuyer seigneur de Cerveau dans la région de Châtillon-sur-Sèvre
et de Montfermier à la Chapelle-Gaudin, et de Marguerite de
Courdault, fille d’Eustache, écuyer, seigneur de Courdault, et
de Perrette Regnon, dame du Plessis-Regnon. Eustache de
Courdault était décédé avant le 23 septembre 1454, époque où sa
veuve donna sa procuration à leur fils Jean, pour rendre un
hommage au seigneur de Sainte-Flaive. Le partage de sa
succession entre son fils, père alors de deux enfants, François
et Marguerite, et sa fille Marguerite, femme de Louis Des
Granges, donna lieu à des difficultés, des excès et des
violences qui mirent aux prises le père et ses deux enfants,
d’une part, la sœur et son mari, d’autre part, d’abord devant le
sénéchal de Poitou, puis en appel au Parlement de Paris. (Voy.
mandement du 1er juin 1464 et plaidoiries du même jour,
Arch. nat., X2a 30, fol. 381 v°, et
X2a 32, à la date.)
Quant à la victime d’Eustache
Des Granges, Jean Maslon (son nom est ainsi écrit sur les
registres du Parlement), il était écuyer, seigneur de la
Lionnière, paroisse de la Chapelle-Gaudin, à cause de sa femme,
Georgette Fouchier, « noble damoiselle, extraite de dame et de
chevalier ». D’un premier mari, elle avait eu six enfants, et de
Jean Maslon, elle n’avait qu’une fille. Ces renseignements et la
plupart de ceux qui précèdent sur Louis Desgranges, sa femme et
ses enfants sont extraits des pièces du procès dont il va être
question. Pour avoir réparation de l’assassinat de son mari et
de la grave mutilation dont elle avait été la victime, Georgette
Fouchier porta plainte au sénéchal de Poitou. Eustache Des
Granges et son serviteur, Mathurin Goury (alias Gorry),
qui avait pris part au meurtre, étant en fuite et n’ayant pu
être appréhendés, son père et sa mère furent mis en cause pour
complicité morale. Ajournés en personne, Louis Des Granges et
Marguerite de Courdault se présentèrent à l’assignation ; le
premier fut mis en prison au Palais et la seconde sous la garde
du prévôt de Poitiers, son parent, en l’hôtel de celui-ci, et
l’affaire fut instruite. Leurs serviteurs, interrogés, avouèrent
qu’après le crime, Eustache était resté trois semaines auprès de
ses parents qui l’avaient caché d’abord à Monfermier, puis à
Cerveau, et ensuite lui avaient donné trois cents écus pour
faciliter sa fuite. Louis et sa femme nièrent tout d’abord, mais
finirent par confesser que c’était la vérité. Néanmoins le
lieutenant du sénéchal appointa que les serviteurs seraient
récolés par le prévôt de Poitiers ; ceux-ci alors se
rétractèrent, et le lieutenant élargit les deux
prisonniers.
La veuve de Jean Maslon releva appel de cette
décision au Parlement et demanda que la cour retînt la
connaissance du principal. Des plaidoiries furent prononcées le
30 août 1473, dont il est intéressant de donner quelques
extraits. Nanterre, avocat de l’appelante, dit que son mari et
elle étaient venus, à la Noël précédente, demeurer en la
paroisse de la Chapelle-Gaudin, dont ses ancêtres étaient les
fondateurs, et ils y vécurent paisiblement jusqu’à la Pentecôte
suivante, « que certaine haine se meut entre eux et les intimez
pour deux causes » : 1° parce que les intimés, qui faisaient
construire, transportaient leurs matériaux par des chemins
appartenant à l’appelante et à son mari ; 2° parce que ledit
jour de la Pentecôte, « eux estans tous ensemble à l’église,
lad. appellante estoit allée la première à l’offrande, dont
Eustache Des Granges se monstrant desplaisant dist à l’appelante
qu’il ne luy appartenoyt point de monter si haut ». En pleine
église des paroles injurieuses et des menaces furent échangées
entre Eustache et Maslon, si bien que le service religieux en
fut interrompu. Après la cérémonie, la noise recommença dehors.
Eustache réitéra ses injures, en présence de son père et de sa
mère. Loin d’y mettre un terme, Louis Des Granges dit à Maslon :
« Eh bien, je voisineray ; vous avez dit des paroles qui ne
chierront jamais de mon cœur. » Le mercredi suivant au soir,
Eustache, prenant deux chevaux dans l’écurie de son père, vint
se mettre en embuscade avec Mathurin Gourry, son serviteur, dans
la garenne de la Lionnière. Après souper, Maslon et sa femme,
sans armes et ne se doutant de rien, sortirent pour se promener
aux environs de leur hôtel. Alors Gourry, déguisé et porteur
d’une javeline, traversa avec ostentation la garenne, et comme
Maslon voulait lui en interdire l’accès, il répondit qu’il y
passerait quand même. Puis Eustache survint par derrière, tira
son braquemart et en frappa Malon d’un coup sur la tête, qui le
renversa à terre ; il redoubla avec la même arme d’estoc et de
taille, quoique sa victime lui demandât grâce, et Georgette, en
voulant protéger son mari, eut la main complètement tranchée.
Gourry, de son côté, s’approcha du malheureux et lui plongea
cinq ou six fois sa javeline dans le corps, si bien qu’il expira
sous leurs yeux. Quand ils le virent bien mort, les deux
meurtriers s’éloignèrent un peu, puis, se ravisant, revinrent
sur leurs pas pour achever leur seconde victime. Celle-ci
heureusement eut le temps de se réfugier dans une maison
voisine ; « ce que voyant, Eustache et Gorry prindrent la main
de l’appelante et la gectèrent et firent manger aux chiens en
leur présence. » Après quoi, ils rentrèrent à Monfermier où
Louis Des Granges et sa femme, informés de ce qui s’était passé,
en furent très joyeux, particulièrement Marguerite de Courdault,
qui avait dit auparavant à Eustache qu’elle le reniait pour
fils, s’il ne la vengeait de Maslon et de sa femme, et pour bien
montrer qu’ils avaient le fait pour agréable, elle et son mari
envoyèrent Eustache et son complice à Cerveau, leur résidence
principale, où ceux-ci furent longuement. Craignant cependant
d’être découverts, ils s’éloignèrent du pays, bien montés et la
bourse garnie.
L’avocat des intimés, chose à noter, ne
contredit point cette version de l’assassinat de Jean Maslon.
Les intimés, dit-il, sont extraits de noble et ancienne
génération, ont toujours bien vécu sans répréhension, ont sept
enfants et plusieurs belles terres et seigneuries et entre
autres Cerveau, où ils résident habituellement, et Monfermier où
ils étaient venus demeurer momentanément « pour occasion de la
pestilence. Eux estans aud. lieu, Eustache et Maslon eurent
debat ensemble, et s’efforça Maslon de lui bailler du poing sur
le visage, dont Eustache fut fort deplaisant. Et depuis l’a
trouvé et batu, dont il est mort. » Il ne raconta pas autrement
la scène du meurtre, et s’attacha seulement à disculper Louis
Des Granges et sa femme. Lors même, conclut-il, qu’ils auraient
recueilli leur fils après le crime et lui auraient procuré les
moyens de fuir, cela est tellement naturel à des parents, que
l’appel de partie adverse ne peut être recevable.
(X2a 39, fol. du 30 août 1473.) Cependant, par son arrêt
du 10 septembre suivant, la cour annula la procédure du premier
juge et retint la connaissance du fonds de l’affaire.
(X2a 40, fol. 89 v°.) Toutefois comme Jacques
Fouchier frère de Georgette, prenant fait et cause pour sa sœur
et voulant la venger, avait fait envahir par ses gens et mettre
au pillage l’hôtel et le domaine de Cerveau, le Parlement, à la
requête de Louis Des Granges et de Marguerite de Courdault, leur
accorda, le lendemain 11 septembre, des lettres de sauvegarde.
(Id., fol. 91.) Ils étaient d’ailleurs ajournés à
nouveau pour le 1er décembre suivant, aux fins de
répondre aux accusations de la veuve de Jean Maslon. Entre ces
deux dates, Louis Des Granges mourut et un délai de quarante
jours fut accordé à Marguerite de Courdault pour déclarer si ses
enfants reprenaient ou abandonnaient le procès. D’autre part,
Eustache Des Granges, toujours absent, condamné comme contumace
par le sénéchal de Poitou, héritait de son père. Georgette
Fouchier fit saisir les biens qui lui revenaient de cette
succession et en poursuivit la vente aux enchères publiques.
Marguerite de Courdault naturellement s’y opposa, d’où un
nouveau procès, que la cour évoqua à elle par acte du 7 juillet
1474. (Id., fol. 160.) Le 19 mai 1475, on retrouve la
veuve de Jean Maslon en présence de Marguerite de Courdault et
de Gilles, Etienne, Jeanne et Françoise Des Granges, ses enfants
mineurs qui ont accepté de reprendre le procès engagé contre
leur père, et le mardi 13 juin suivant, après dîner, la grande
chambre appointa que la demanderesse baillerait dans huitaine
ses conclusions par écrit. (X2a 41, à ces
dates.)
Depuis ce jour jusqu’au 21 janvier 1482, les
registres criminels sont complètement muets sur les suites du
procès. A cette dernière date, Eustache Des Granges avait obtenu
les lettres de rémission dont nous donnons le texte ; leur
entérinement est combattu par la veuve de Jean Maslon et par sa
fille Jeanne Maslon, alors mariée à Jean de Molières
(aliàs Mondières), écuyer, et Eustache, qui
persistait à ne pas se montrer, se fait mettre en défaut.
(X2a 46, au 21 janvier 1482 n.s.) Le 30 du même mois,
à la suite de nouvelles informations, décret de prise de corps
fut rendu contre Marguerite de Courdault, avec ordre de l’amener
prisonnière à la Conciergerie du Palais, sous peine de
bannissement et de confiscation. En même temps, défense était
faite au sénéchal du Poitou ou à son lieutenant de s’entremettre
de l’entérinement de la rémission d’Eustache. (X2a 45,
date du 30 janvier.) Enfin l’affaire fut plaidée derechef, le
14 mai suivant : les avocats ne font point connaître de
particularités nouvelles. Celui de Jean de Modière et de Jeanne
Maslon, après avoir énuméré les réparations, dommages et
intérêts, etc., réclamés par ses clients, y ajouta le demande
que ladite Marguerite « soit contrainte de rendre et exhiber son
filz en la Conciergerie de céans, lequel a obtenu lettres de
rémission et présentées à Thoars, et défense qu’il ne poursuive
ne [se] pourvoye ailleurs que ceans ». (X2a 46, in-14 mai
1482.) Et dès lors le silence se fait de nouveau dans le
registre.
En rapprochant les données fournies par la
généalogie imprimée de la famille Foucher ou Fouchier du bas
Poitou (seigneurs des Herbiers, de l’Esmentruère, de Brandois,
etc. Dict. des familles du Poitou, 2e édit.,
t. III, p. 514) des renseignements contenus dans les actes
mentionnés ci-dessus sur Georgette Fouchier et son frère
Jacques, on peut les identifier exactement. Jacques est
qualifié, dans cette généalogie, chevalier, seigneur de la
Barrouère, du Gué-Sainte-Flaive et de l’Esmentruère, chambellan
de Louis XI en 1463, décédé en 1486, fils aîné de Jean, écuyer,
seigneur de l’Esmentruère et de la Barrouère (Longeville,
Vendée) et de Marguerite de Bouillé. Quant à sa sœur Georgette,
il y est dit qu’elle épousa Jean Simon (sans doute Simes),
écuyer, et l’on n’y parle point de son second mari, Jean Maslon,
sr de la Lionnière, que nous font connaître les
registres du Parlement.