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MDCLXIV

Rémission octroyée à Eustache des Granges, meurtrier, dix ans auparavant, de Jean Mallon, sr de la Lionière, vassal de son père, qui l’avait injurié et outragé, lui et sa famille, puis l’avait attaqué à main armée.

  • B AN JJ. 208, n° 137, fol. 80 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 364-368
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Eustasses des Granges1, clerc, aagé de trente ans ou environ, contenant [p. 365] que, dix ans a ou environ et ung jour entre les autres feu Jehan Mallon, seigneur de la Lyonerie et vassal du père dudit suppliant, qui par plusieurs foiz avoit injurié et oultragé icelui suppliant et ses père et mère et leurs subgetz, ainsi que ledit suppliant venoit d’aucuns ses affaires et lui [p. 366] estant près de la maison dudit Jehan Mallon, sans lui meffaire ne mesdire, icellui Jehan Mallon en continuant de mal en pis, vint illec au devant d’icellui suppliant garni et embastonné d’une longue javeline et d’une espée et de fait assaillit icellui suppliant en soy efforçant de le frapper de ladicte [p. 367] javeline parmi le corps et le cuidant tuer et occirre ; mais ledit suppliant y obvia tellement qu’il ne fut point blecié dudit coup, et voyant la fureur dudit Jehan Mallon et tout esmeu et eschauffé de ce que icelluy Jehan Mallon l’avoit ainsi voulu oultrager, tuer et murtrir de ladicte javeline et afin de obvier qui ne le tuast et occist, tira son espée qu’il avoit avecques lui et lui en bailla certains [p. 368] coups de chaude colle et en son corps deffendant, et en ce faisant couppa ung bras à la femme dudit Jehan Mallon qui estoit entre deux et bleça icellui Jehan Mallon, son mary, tellement que depuis par sa coulpe et faulte de bon gouvernement ou autrement, il est, comme l’en dit, allé de vie à trespas. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, dès lors se absenta du païs et de nostre royaume et s’en alla à Saint-Jacques, à Romme et ailleurs, et depuis a tousjours esté absent d’icellui pays et de nostredit royaume, et n’y oseroit jamais retourner converser ne repairer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, en nous humblement requerant que, attendu ce que dit est et mesmement que ledit Jehan Mallon a esté agresseur et non ledit suppliant, et est ledit cas advenu de chaude colle et en son corps deffendant, comme dit est, icellui suppliant qui est jeune clerc à marier et gentilhomme, ne fut plus jamais actainct, convaincu ne condampné d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche, et aussi qu’il a sur ce finé et composé à partie et fait satisfacion, et ne reste plus que l’interest de justice, il nous plaise lui impartir nosdictes graces et misericorde. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., audit suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, et par la teneur, etc., quictons, remettons et pardonnons le fait et cas dessusdit, avec toute peine, etc. Et l’avons restitué, etc., en mettant au neant, etc. Et sur ce imposons, etc. Si donnons en mandement, etc., au seneschal du Poictou et à tous, etc., que de noz presens grace, etc., ilz facent, etc. Sauf, etc. Donné à Tours, ou mois d’octobre l’an de grace mil cccc. quatre vingts, et de nostre règne le vingtiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Chambon. — Visa. Contentor. Texier.


1 Eustache Des Granges était le fils aîné de six frères et sœurs, de Louis Des Granges, écuyer seigneur de Cerveau dans la région de Châtillon-sur-Sèvre et de Montfermier à la Chapelle-Gaudin, et de Marguerite de Courdault, fille d’Eustache, écuyer, seigneur de Courdault, et de Perrette Regnon, dame du Plessis-Regnon. Eustache de Courdault était décédé avant le 23 septembre 1454, époque où sa veuve donna sa procuration à leur fils Jean, pour rendre un hommage au seigneur de Sainte-Flaive. Le partage de sa succession entre son fils, père alors de deux enfants, François et Marguerite, et sa fille Marguerite, femme de Louis Des Granges, donna lieu à des difficultés, des excès et des violences qui mirent aux prises le père et ses deux enfants, d’une part, la sœur et son mari, d’autre part, d’abord devant le sénéchal de Poitou, puis en appel au Parlement de Paris. (Voy. mandement du 1er juin 1464 et plaidoiries du même jour, Arch. nat., X2a 30, fol. 381 v°, et X2a 32, à la date.)

Quant à la victime d’Eustache Des Granges, Jean Maslon (son nom est ainsi écrit sur les registres du Parlement), il était écuyer, seigneur de la Lionnière, paroisse de la Chapelle-Gaudin, à cause de sa femme, Georgette Fouchier, « noble damoiselle, extraite de dame et de chevalier ». D’un premier mari, elle avait eu six enfants, et de Jean Maslon, elle n’avait qu’une fille. Ces renseignements et la plupart de ceux qui précèdent sur Louis Desgranges, sa femme et ses enfants sont extraits des pièces du procès dont il va être question. Pour avoir réparation de l’assassinat de son mari et de la grave mutilation dont elle avait été la victime, Georgette Fouchier porta plainte au sénéchal de Poitou. Eustache Des Granges et son serviteur, Mathurin Goury (alias Gorry), qui avait pris part au meurtre, étant en fuite et n’ayant pu être appréhendés, son père et sa mère furent mis en cause pour complicité morale. Ajournés en personne, Louis Des Granges et Marguerite de Courdault se présentèrent à l’assignation ; le premier fut mis en prison au Palais et la seconde sous la garde du prévôt de Poitiers, son parent, en l’hôtel de celui-ci, et l’affaire fut instruite. Leurs serviteurs, interrogés, avouèrent qu’après le crime, Eustache était resté trois semaines auprès de ses parents qui l’avaient caché d’abord à Monfermier, puis à Cerveau, et ensuite lui avaient donné trois cents écus pour faciliter sa fuite. Louis et sa femme nièrent tout d’abord, mais finirent par confesser que c’était la vérité. Néanmoins le lieutenant du sénéchal appointa que les serviteurs seraient récolés par le prévôt de Poitiers ; ceux-ci alors se rétractèrent, et le lieutenant élargit les deux prisonniers.

La veuve de Jean Maslon releva appel de cette décision au Parlement et demanda que la cour retînt la connaissance du principal. Des plaidoiries furent prononcées le 30 août 1473, dont il est intéressant de donner quelques extraits. Nanterre, avocat de l’appelante, dit que son mari et elle étaient venus, à la Noël précédente, demeurer en la paroisse de la Chapelle-Gaudin, dont ses ancêtres étaient les fondateurs, et ils y vécurent paisiblement jusqu’à la Pentecôte suivante, « que certaine haine se meut entre eux et les intimez pour deux causes » : 1° parce que les intimés, qui faisaient construire, transportaient leurs matériaux par des chemins appartenant à l’appelante et à son mari ; 2° parce que ledit jour de la Pentecôte, « eux estans tous ensemble à l’église, lad. appellante estoit allée la première à l’offrande, dont Eustache Des Granges se monstrant desplaisant dist à l’appelante qu’il ne luy appartenoyt point de monter si haut ». En pleine église des paroles injurieuses et des menaces furent échangées entre Eustache et Maslon, si bien que le service religieux en fut interrompu. Après la cérémonie, la noise recommença dehors. Eustache réitéra ses injures, en présence de son père et de sa mère. Loin d’y mettre un terme, Louis Des Granges dit à Maslon : « Eh bien, je voisineray ; vous avez dit des paroles qui ne chierront jamais de mon cœur. » Le mercredi suivant au soir, Eustache, prenant deux chevaux dans l’écurie de son père, vint se mettre en embuscade avec Mathurin Gourry, son serviteur, dans la garenne de la Lionnière. Après souper, Maslon et sa femme, sans armes et ne se doutant de rien, sortirent pour se promener aux environs de leur hôtel. Alors Gourry, déguisé et porteur d’une javeline, traversa avec ostentation la garenne, et comme Maslon voulait lui en interdire l’accès, il répondit qu’il y passerait quand même. Puis Eustache survint par derrière, tira son braquemart et en frappa Malon d’un coup sur la tête, qui le renversa à terre ; il redoubla avec la même arme d’estoc et de taille, quoique sa victime lui demandât grâce, et Georgette, en voulant protéger son mari, eut la main complètement tranchée. Gourry, de son côté, s’approcha du malheureux et lui plongea cinq ou six fois sa javeline dans le corps, si bien qu’il expira sous leurs yeux. Quand ils le virent bien mort, les deux meurtriers s’éloignèrent un peu, puis, se ravisant, revinrent sur leurs pas pour achever leur seconde victime. Celle-ci heureusement eut le temps de se réfugier dans une maison voisine ; « ce que voyant, Eustache et Gorry prindrent la main de l’appelante et la gectèrent et firent manger aux chiens en leur présence. » Après quoi, ils rentrèrent à Monfermier où Louis Des Granges et sa femme, informés de ce qui s’était passé, en furent très joyeux, particulièrement Marguerite de Courdault, qui avait dit auparavant à Eustache qu’elle le reniait pour fils, s’il ne la vengeait de Maslon et de sa femme, et pour bien montrer qu’ils avaient le fait pour agréable, elle et son mari envoyèrent Eustache et son complice à Cerveau, leur résidence principale, où ceux-ci furent longuement. Craignant cependant d’être découverts, ils s’éloignèrent du pays, bien montés et la bourse garnie.

L’avocat des intimés, chose à noter, ne contredit point cette version de l’assassinat de Jean Maslon. Les intimés, dit-il, sont extraits de noble et ancienne génération, ont toujours bien vécu sans répréhension, ont sept enfants et plusieurs belles terres et seigneuries et entre autres Cerveau, où ils résident habituellement, et Monfermier où ils étaient venus demeurer momentanément « pour occasion de la pestilence. Eux estans aud. lieu, Eustache et Maslon eurent debat ensemble, et s’efforça Maslon de lui bailler du poing sur le visage, dont Eustache fut fort deplaisant. Et depuis l’a trouvé et batu, dont il est mort. » Il ne raconta pas autrement la scène du meurtre, et s’attacha seulement à disculper Louis Des Granges et sa femme. Lors même, conclut-il, qu’ils auraient recueilli leur fils après le crime et lui auraient procuré les moyens de fuir, cela est tellement naturel à des parents, que l’appel de partie adverse ne peut être recevable. (X2a 39, fol. du 30 août 1473.) Cependant, par son arrêt du 10 septembre suivant, la cour annula la procédure du premier juge et retint la connaissance du fonds de l’affaire. (X2a 40, fol. 89 v°.) Toutefois comme Jacques Fouchier frère de Georgette, prenant fait et cause pour sa sœur et voulant la venger, avait fait envahir par ses gens et mettre au pillage l’hôtel et le domaine de Cerveau, le Parlement, à la requête de Louis Des Granges et de Marguerite de Courdault, leur accorda, le lendemain 11 septembre, des lettres de sauvegarde. (Id., fol. 91.) Ils étaient d’ailleurs ajournés à nouveau pour le 1er décembre suivant, aux fins de répondre aux accusations de la veuve de Jean Maslon. Entre ces deux dates, Louis Des Granges mourut et un délai de quarante jours fut accordé à Marguerite de Courdault pour déclarer si ses enfants reprenaient ou abandonnaient le procès. D’autre part, Eustache Des Granges, toujours absent, condamné comme contumace par le sénéchal de Poitou, héritait de son père. Georgette Fouchier fit saisir les biens qui lui revenaient de cette succession et en poursuivit la vente aux enchères publiques. Marguerite de Courdault naturellement s’y opposa, d’où un nouveau procès, que la cour évoqua à elle par acte du 7 juillet 1474. (Id., fol. 160.) Le 19 mai 1475, on retrouve la veuve de Jean Maslon en présence de Marguerite de Courdault et de Gilles, Etienne, Jeanne et Françoise Des Granges, ses enfants mineurs qui ont accepté de reprendre le procès engagé contre leur père, et le mardi 13 juin suivant, après dîner, la grande chambre appointa que la demanderesse baillerait dans huitaine ses conclusions par écrit. (X2a 41, à ces dates.)

Depuis ce jour jusqu’au 21 janvier 1482, les registres criminels sont complètement muets sur les suites du procès. A cette dernière date, Eustache Des Granges avait obtenu les lettres de rémission dont nous donnons le texte ; leur entérinement est combattu par la veuve de Jean Maslon et par sa fille Jeanne Maslon, alors mariée à Jean de Molières (aliàs Mondières), écuyer, et Eustache, qui persistait à ne pas se montrer, se fait mettre en défaut. (X2a 46, au 21 janvier 1482 n.s.) Le 30 du même mois, à la suite de nouvelles informations, décret de prise de corps fut rendu contre Marguerite de Courdault, avec ordre de l’amener prisonnière à la Conciergerie du Palais, sous peine de bannissement et de confiscation. En même temps, défense était faite au sénéchal du Poitou ou à son lieutenant de s’entremettre de l’entérinement de la rémission d’Eustache. (X2a 45, date du 30 janvier.) Enfin l’affaire fut plaidée derechef, le 14 mai suivant : les avocats ne font point connaître de particularités nouvelles. Celui de Jean de Modière et de Jeanne Maslon, après avoir énuméré les réparations, dommages et intérêts, etc., réclamés par ses clients, y ajouta le demande que ladite Marguerite « soit contrainte de rendre et exhiber son filz en la Conciergerie de céans, lequel a obtenu lettres de rémission et présentées à Thoars, et défense qu’il ne poursuive ne [se] pourvoye ailleurs que ceans ». (X2a 46, in-14 mai 1482.) Et dès lors le silence se fait de nouveau dans le registre.

En rapprochant les données fournies par la généalogie imprimée de la famille Foucher ou Fouchier du bas Poitou (seigneurs des Herbiers, de l’Esmentruère, de Brandois, etc. Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. III, p. 514) des renseignements contenus dans les actes mentionnés ci-dessus sur Georgette Fouchier et son frère Jacques, on peut les identifier exactement. Jacques est qualifié, dans cette généalogie, chevalier, seigneur de la Barrouère, du Gué-Sainte-Flaive et de l’Esmentruère, chambellan de Louis XI en 1463, décédé en 1486, fils aîné de Jean, écuyer, seigneur de l’Esmentruère et de la Barrouère (Longeville, Vendée) et de Marguerite de Bouillé. Quant à sa sœur Georgette, il y est dit qu’elle épousa Jean Simon (sans doute Simes), écuyer, et l’on n’y parle point de son second mari, Jean Maslon, sr de la Lionnière, que nous font connaître les registres du Parlement.