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Rémission octroyée à Guillaume et Jean Gendre, dits Limousins, de Vouillé, coupables d’un meurtre. Voyant leur père attaqué, maltraité et battu par des francs archers, ils s’étaient portés à son secours et en s’efforçant de le soustraire aux coups de ses agresseurs, ils avaient [p. 349] mortellement frappé l’un d’eux, nommé Robin Pineau.

  • B AN JJ. 208, n° 115, fol. 69
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 348-352
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Guillaume et Jehan Gendres, diz Limosins, frères, pouvres gens de labour, chargez de femmes et de plusieurs enfants, demourans en la paroisse et villaige de Vouilhé, contenant que, le dimanche dixiesme jour de ce present mois de septembre derrenier passé, Jehan Gendre, dit Limosin, leur père, aagé de lx. ans ou environ, aussi demourant audit Vouilhé, s’en alla dudit Vouilhé à une sienne maison hors ledit villaige et distant d’icellui d’un demi quart de lieue ou environ, pour veoir de son bestail qu’il tient en ladicte maison pour faire son labouraige, et lui arrivé en la court de ladicte maison, qui estoit environ l’eure de trois heures après midy dudit jour, arrivèrent illecques trois francarchiers à lui incongneuz, dont l’ung d’eulx entra en ladicte court et dist audit Jehan Gendre père qu’il lui voulsist ouvrir sondit huys de sadicte maison ; lequel luy respondit qu’il le feroit voulentiers, et pour ce faire alla illecques près, où luy et ses gens avoient acoustumé cacher la clef de ladicte maison, la y cuidant trouver, ce qu’il ne fist pas. Et ce pendant qu’il cerchoit ladicte clef, ledit franc archer qui estoit entré en ladicte maison1 d’icelle maison, tenant en sa main ung gros baston blanc de poignée, frappa du pié une foiz ou deulx contre la porte de ladicte maison, la cuidant rompre et ouvrir. Et ce voyant, ledit Jehan Gendre, père desdiz supplians, dist audict franc archer qu’il ne povoit trouver la clef de ladicte maison, qu’il luy pleust ne lui faire aucun desplaisir et que voulentiers, il luy donneroit du pain et du vin ; et se sortit de ladicte court ou chemin par où passoient [p. 350] iceulx francs archers, duquel estoit sorti ledit franc archer qui estoit ainsi entré en ladicte court avec les deux autres. Et adonc icellui franc archer dist audit Jehan Gendre père que doncques il lui voulsist bailler du pain et du vin. A quoy il lui respondit que illec il n’avoit ne pain ne vin, parce qu’il n’y faisoit pas sa demourance et n’y tenoit que son bestail et labouraige, et que s’il luy plaisoit ung peu attendre, que voulentiers il luy en yroit querir audit villaige, ou que, s’il leur plaisoit aller avecques lui, qu’il leur en bailleroit et feroit delivrer. A cause desquelles parolles ledit franc archer, qui ainsi estoit entré en ladicte court et avoit ledit baston en la main, se tira devers ledit Jehan Gendre et lui donna ung soufflet, tellement que d’icelluy il luy fist cheoir son chapperon et son bonnet à terre. Et ainsi que icelluy Jehan le Gendre, ainsi aagé comme dit est, vouloit amasser ses diz chapperon et bonnet, ledit franc archer, non content de ce, lui donna dudit baston blanc sur les espaulles si grant coup qu’il le fist cheoir à terre, et après lui et sesdiz compaignons le batirent et frappèrent par la teste tant dudit baston que de javelines et espées tant que d’icelli ilz lui firent yssir le sang par trois ou quatre lieux et lui donnèrent avec ce plusieurs autres coups et collées sur les espaulles, bras et autres parties de son corps tant qu’il cheut à terre, le visaige et la teste tous ensanglantez, comme mort. Et en ce faisant arrivèrent aucuns autres francarchers, compaignons desdiz trois dessus nommez, qui jà estoient passez devant et s’en retournèrent, tellement qu’ilz furent jusques au nombre de huit. Pendans lesquelles choses, Jehan Gendre, frère desdiz supplians et filz dudit Jehan Gendre, leur père, qui estoit derriere ladicte maison, ouyt le bruit, auquel il accourut et voyant les excès que on faisoit à sondit père et que lesdiz francs archers l’avoient ainsi abattu et aterré tellement qu’il ne povoit parler, s’escria, disant : « Mon père est mort ! mon père est mort ! » Et adonc deux desdiz [p. 351] francs archiers qui avoient ainsi blecié ledit Jehan Gendre père, tenans l’un une espée toute nue et l’autre une javeline, s’adressèrent audit Jehan Gendre le jeune, pour le vouloir frapper. Et ce voyant, pour eviter leur fureur et oultrage, s’en fouyt vers ledit villaige en criant que sondit père estoit mort. Auquel cry ledit Jehan Gendre suppliant, qui estoit près d’un trait d’arc d’illec ou environ, alla audit cry, et en passant par le derrière de leur dicte maison, en trouva en son chemin, contre le pallier ou mur d’icelle une fourche de fer à deux fourchons, laquelle il print en sa main, et tantost qu’il fut arrivé, apperceut sondit père, lequel lesdiz francarchiers avoient abatu à terre à force de cops, le visaige et le col tous sanglans, et cuidant qu’il feust mort, dist ausdiz francs archiers qui estoient jusques à huit : « Ha ! ribaulx, vous avez tué mon père ! » et en ce disant, desplaisant de l’oultrage fait à sondit père, frappa ung coup de ladicte fourche sur le bras de l’un desdiz francs archiers, duquel coup il lui feist cheoir une espée qu’il tenoit toute nue en sa main. Et incontinant ledit Guillaume Gendre, son frère, suppliant, qui semblablement avoit ouy ledit cry d’un tornet2 près de ladicte maison où il estoit, arriva audit conflict, et voyant sondit père ainsi navré et mutilé que dit est et que lesdiz francs archers vouloient encores oultrager et tuer ledit Jehan, son frère, et desbander une arbaleste sur luy, pour secourir sondit frère, tira une espée nue qu’il avoit esté querir en l’ostel de sondit père et se mist à revancher sondit frère. Et lors arrivèrent sur eulx plusieurs autres desdiz francs archers qui jà estoient passez devant et s’en estoient retournez pour aider à ceulx qui avoient ainsi batu et navré sondit père ; lesquelz commencèrent vouloir oultrager de plus en plus lesdiz supplians, eulx efforçans de les batre et tuer, tellement qu’il convint ausdiz supplians eulx mettre [p. 352] en deffense, et en eulx combatant les ungs contre les autres, ledit Guillaume suppliant, tout esmeu de chaude colle et desplaisant de l’oultraige fait à sondit père, frappa de sadicte espée l’un d’eulx par le nombril, lequel, comme il a depuis ouy dire, s’appelloit Robin Pineau et estoit celluy qui premièrement avoit batu et frappé dudit baston blanc ledit Jehan Gendre, son père. Après lequel coup, lesdiz supplians, doubtans la fureur desdiz francs archiers, se misdrent à fouir de devant eulx ; lesquelz, pour les vouloir tuer, gectèrent après eulx pierres et les suivirent avecques lesdictes pierres, arbalestes et espées et javelines jusques audit Vouilhé et les pressèrent tellement que s’ilz ne se feussent evadez d’eulx, ilz les eussent tuez ou griefment bleciez et mutillez. Tantost après lequel coup et au moien d’iceluy ledit Pineau alla de vie à trespas. Pour occasion duquel cas lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, se sont absentez du païs, ouquel ne en nostre royaume ilz ne oseroient, etc., se noz grace, etc. Attendu ce que dit est et qu’ilz ont toujours esté de bonne vie, etc., nous leur vueillons sur ce impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., ausdiz supplians et à chacun d’eulx ou cas dessusdit avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessus declaré, avec toute peine, etc., en mettant au neant, etc. Et les avons restituez, etc., et sur ce imposons silence, etc. Si donnons en mandement, etc., au seneschal de Poitou et à tous noz autres, etc., que de noz presens grace, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Tours, au mois de septembre l’an de grace mil ccc. quatre vings, et de nostre regne le vingtiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Villebresme. — Visa. Contentor. Texier.


1 Sic. Distraction du scribe, pour « court ».

2 Sic. Tornet signifie dévidoir. Peut-être faut-il lire cornet.