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MDLXX

Rémission accordée à Guillaume Morin, marchand de Saint-Maixent, recherché pour le meurtre de Denis Barré, pionnier, demeurant à Poitiers, qui, hébergé à crédit par ledit Morin, avait abusé de sa confiance en lui dérobant divers objets.

  • B AN JJ. 206, n° 1088, fol. 235 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 78-80
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume Morin, marchant, demourant à Saint-Maixent, aagé de cinquante six ans ou environ, contenant que le [p. 79] jour de l’Ascension Nostre Seigneur derrenierement passée, feu Denis Barré, en son vivant pyonnier, demourant à Poictiers, qui tout son temps a esté de très petit gouvernement, se transporta en l’ostel dudit suppliant, qui lors vendoit vin et luy demanda s’il luy presteroit son escot et ce qu’il despendroit à son hostel ; lequel suppliant luy respondy que oy et, se mestier estoit, le luy donneroit. Lequel Barré depuis ladicte heure se tint par tout le jour audit hostel et y souppa et coucha sans en paier aucune chose. Et le lendemain au matin, environ six heures, se partit et dist audit suppliant qu’il aloit parler à ung armeurier dudit Saint-Maixent, mais que tantost il reviendroit boyre avec lui. Lequel suppliant dès lors se partit de son hostel pour aler à l’église et laissa en sondit hostel ledit Barré. Et après ce que icelluy suppliant ot oy messe, s’en retourna en sondit hostel ouquel il trouva Lyete Bonninge, sa femme, à laquelle il demanda se ledit Barré estoit retourné ainsi qu’il luy avoit dit ; laquelle Lyete, fort esmeue et courroucée de ce que ledit Barré avoit ce pendent ravy et emblé oudit hostel grant quantité de leurs biens meubles, luy dist que ledit Barré n’estoit point retourné et que c’estoit ung larron et ung « va luy dire ». A l’occasion desquelles parolles ledit suppliant fut fort esmeu et croyant que ledit Barré l’eust desrobé de sa chevance, print, comme desplaisant de ce, une javeline et un braquemart, et s’en ala après ledit Barré, et tellement le poursuyvit qu’il l’atteignyt à ung quart de lieue près du bourg de Cursay, distant dudit Saint-Maixent de cinq lieues ou environ, et, luy arrivé audit Barré, luy dist le plus gracieusement qu’il peut, qu’il luy voulsist rendre ce qu’il avoit prins du sien en son hostel ; et en disant ces parolles, ledit suppliant apperçust que ledit Barré avoit une paire de souliers qu’il avoit prins en sondit hostel. Lequel Barré luy respondy bien arrogamment qu’il n’avoit riens du sien, et de fait et de force luy voult oster ladicte [p. 80] javeline en soy efforçant de le vouloir fraper. Et doubtant icelluy suppliant que ledit Barré, qui avoit autresfoiz suyvy la guerre, le voulust oultrager en son corps, tira sondit braquemart et en résistant à la force d’icelluy Barré, luy en donna ung cop sur la teste et un autre cop par la jambe senestre, et atant se départyt ledit suppliant d’avecques ledit Barré et le laissa au chemin et s’en retourna vers ladicte ville de Saint-Maixent, et en soy en retournant, trouva aucuns qui luy demandèrent s’il avoit trouvé ledit Barré. A quoy il respondit que oy, et en leur monstrant sondit braquemart, leur dist qu’il l’avoit bien chastié de ce qu’il luy avoit fait, combien qu’il ne pensoit point l’avoir batu jusques à mort ; aussi n’eust-il oncques voulenté de ce faire. Et ce mesmes jour ledit Barré fut mené en ung hostel près d’illec, et fut trouvé saisy de ladicte paire de souliers et d’un marteau de maçon qu’il avoit mal prins et emblé en l’ostel dudit suppliant. Et depuis aucuns jours après fut mené à Poictiers en son hostel ouquel a depuis esté jusques au second jour de ce present moys de juing que, par faulte de gouvernement ou autrement, il est alé de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant s’est absenté, etc., requerant, etc. Pourquoy nous, etc., audit suppliant avons quicté, etc. les faits et cas dessusdiz, avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys de juing, l’an de grace mil cccc. soixante seize, et de nostre règne le xvime1.

Ainsi signé : Par le Conseil, de Wignacourt. — Visa. Contentor. Picart.


1 Il y a contradiction entre l’année du règne et le millésime ; l’un de ces deux termes est, par conséquent, erroné. Si le millésime 1476 est exact, il faut corriger de notre règne le xve, au lieu de xvie ; si ce dernier, au contraire, doit être maintenu, le millésime deviendra 1477, au lieu de 1476, la seizième année du règne de Louis allant du 22 juillet 1476 au 21 juillet 1477. Les données chronologiques fournies par le texte même des lettres de rémission ne suffisent pas à résoudre le problème. L’on y dit que le meurtre fut commis le lendemain de l’Ascension et que Denis Barré vécut jusqu’au 2 juin. En 1476, l’Ascension tomba le 23 mai, et en 1477 le 15 mai. Quant au lieu de la date : Paris, l’itinéraire de Louis XI montre que le roi ne séjourna en juin, dans cette ville ni en 1476 ni en 1477, d’où il résulte ou bien que lesdites lettres n’émanent pas de la grande chancellerie (qui suivait la cour dans ses déplacements) mais d’une chancellerie de cour souveraine, ou bien qu’une section de la grande chancellerie demeurait parfois sédentaire à Paris.