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MDCLXVIII

Rémission accordée à Louis Voyer, chevalier, seigneur du Breuil et de l’Ayraudière en Bas Poitou, qui, irrité des refus répétés d’obéissance de Jacques Minault, son serviteur, l’ayant congédié et celui-ci s’obstinant, [p. 376] malgré toutes les sommations, à demeurer en son hôtel, diffamant et insultant ledit Voyer et sa femme, enfin poussé à bout, l’avait frappé de trois ou quatre coups d’épée.

  • B AN JJ. 208, n° 143, fol. 85 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 375-381
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de nostre amé et feal Loys Voyer, chevalier, seigneur du Brueil et de l’Ayraudière1 ou bas païs de Poitou, aagé de vingt six ans ou environ, contenant que ledit suppliant, qui est noble et extraict de noble lignée et de bonne et notable maison, en ensuivant ses predecesseurs, qui tousjours se sont vertueusement exposez ou fait de noz guerres et à la deffense de nostre royaume, dès son jeune aage est allé ou saint voyage de Jherusalem, auquel voiage il a prins l’ordre de chevalerie. Depuis lequel temps et jusques à present il nous a bien et loyaument servy ou fait de noz guerres, toutes foiz et quantes que avons mandé les autres nobles dudit pays à [p. 377] noz ban et arrièreban et mesmement ès voyages puis naguères faiz ès païs et duchié de Bourgongne et de Luxembourg2 en l’estat d’homme d’armes et en sa personne, accompaigné de feu Jacques Mynault, son serviteur, jeune homme de l’aage de xxviii. à xxx. ans ; lequel Laurens (sic) Mynault avoit promis servir ledit suppliant, son maistre, bien et loyaument et de lui obeir. Pendant lequel voyage et lors que ledit suppliant estoit oudit païs de Luxembourg, considerant qu’il n’auroit assez argent pour s’entretenir oudit voiage et armée, envoya ledit Mynault dudit lieu de Luxembourg en sa maison oudit païs de Poictou, pour querir certaine somme de deniers laquelle il lui chargea apporter. Lequel Mynault de ce ne tint compte, ainçois, sans consideracion du serment par lui fait audit suppliant de le servir et obeir ainsi que serviteur doit faire à son maistre, se tint audit lieu de l’Ayraudière, faisant grant chière, sans soy socier de la peine et travail et de la pauvreté et misère où estoit ledit suppliant en ladicte armée, par deffault d’avoir son dit argent, et tellement que à cause de ce il convint audit suppliant avoir et porter de grans pertes souffertes et neccessitez ; desquelles choses ledit suppliant ne tint compte et les porta le plus paciemment qu’il peut, sans en faire autre chose audit Mynault, son serviteur, fors tant seullement qu’il lui dist que c’estoit mal fait à lui de ainsi se estre mocqué de lui. Et depuis, et tantost après que ledit suppliant fut retourné [p. 378] en sa maison dudit voyage de Luxembourg, pour ce que mandasmes les nobles dudit païs pour aller en nostre ville de Bourleaulx et duché de Guienne, pour aucunes choses touchant le bien de nostredit pays, icellui suppliant, voiant qu’il lui convenoit hastivement partir selon nostre mandement, dist audit Mynault qu’il se preparast pour le servir et l’acompaigner, ainsi qu’il avoit par cy devant [fait] pour aller en nostredit païs de Guienne ; ce que ledit Mynault ne voult faire, disant qu’il estoit malade et ne povoit aller audit voyage, dont ledit suppliant fut fort desplaisant. Et pour ce qu’il fut adverti de son mauvais vouloir et qu’il ne vouloit demourer que pour lui faire desplaisir, lui dist qu’il le tenoit pour suspect, sans autrement vouloir declairer la cause de la suspection, et lui deffendi sur peine d’encourir son indignacion et de lui faire desplaisir en sa personne qu’il vuidast sondit hostel et qu’il ne le trouvast plus en cesdiz hostelz, et convint audit suppliant querir autres serviteurs pour aller oudit voyaige. Et depuis, adverti que lediz Mynault estoit encores en sondit hostel de Brueil, par le conseil d’aucuns ses amis, lui manda et fit faire commendement par ung de ses serviteurs qu’il vuidast d’icellui, autrement s’il ne le faisoit qu’il lui feroit desplaisir. Duquel commandement ledit Mynault qui estoit ung homme fier, courageux et plain de grant orgueil, ne tint compte, ains en contempnant ledit suppliant son maistre, et sondit commendement, respondit audit messaiger qu’il ne s’en partiroit point et que ledit suppliant ne l’oseroit assaillir et que, s’il lui touchoit en aucune manière, il le tueroit tout roidde. Et voiant par ledit suppliant l’obstinacion dudit Mynault, manda à Françoise Poussarde, sa femme, qu’elle le fist vuider de sondit hostel, autrement qu’il ne seroit contant d’elle et oultrageroit ledit Mynault, s’il le y trouvoit plus oudit hostel ; ce que ladicte Françoise dist audit Minault, en le priant que s’en voulsist aller. Mais, quelque remonstrance qu’elle [p. 379] lui sceust faire, icelui Mynault ne voult s’en departir, disant que maulgré icellui suppliant il y demourrait, et que, s’il s’essayoit à lui faire mal, qu’il le tueroit. Lesquelles [parolles] et responses furent rapportées audit suppliant estant sur sondit partement, qui pour hastiveté dudit voyaige ne peut retourner en sondit hostel du Breuil, pour faire vuider ledit Mynault. Et en cet estat lui convint partir très courroussé à l’encontre dudit Mynault à cause desdictes parolles. Et tantost après en faisant ledit voyaige et qu’il fut auprès de Sainct Jehan d’Angely, lui fut dit et rapporté que icelui Mynault en persistant en son mauvais vouloir et pour iujurier et diffamer ledit suppliant et sadicte femme s’estoit vanté et vantoit publicquement qu’il n’avoit tenu que à luy qu’il n’avoit deshonnoré et fait son plaisir de la femme dudit suppliant, sa maistresse, qui est bonne et notable femme et qui tousjours s’est bien et honnestement gouvernée, et de fait qu’il avoit eu sa compaignie charnelle, et qui pis est, comme ung mençongier et desloyal, et pour mettre division entre ledit suppliant et sadicte femme, avoit dit et proferé publicquement que ledit suppliant avoit fait de grans donnes à plusieurs jeunes filles, pour avoir leur compaignie, contre verité. Lesquelles parolles et injures ainsi dictes et proferées par ledit Mynault, ledit suppliant a portées en son couraige le plus doulcement et paciemment qu’il a peu, sans à cause d’icelles faire mal, desplaisir ne dommaige audit Mynault, lequel, quelques prohibitions et deffenses qui lui eussent esté faictes de ne se trouver ès hostelz dudit suppliant, se y tenoit ou ès environs oultre son gré et voulunté, en disant et soustenant que si ledit suppliant l’assaillast, il le mettroit à mort. Depuis lesquelles choses et le xviie jour d’octobre derrenier passé, ledit suppliant qui estoit allé aux champs pour voller, sans penser audit Mynault, qui, quinze jours ou trois sepmaines par avant estoit malade de fièvres, lesquelles lui estoient survenues, ainsi qu’on dit, à cause de [p. 380] ce que en alant courant après ung oyseau il s’estoit avallé le boyau et grevé l’un des genitoires, tellement qu’il estoit beaucoup plus gros que l’autre, le rencontra ou villaige de la Carrebiere en ladicte chastellenie de la Roche Guion (sic) près ledit hostel de l’Ayauldiere (sic). Et incontinant que icellui Mynault eut apperceu ledit suppliant, non content des injures ou oultrageuses parolles ainsi par lui dictes et proferées de la personne dudit suppliant et sadicte femme, en les vituperant et chargant sans cause de leur honneur et bonne vie et renommée, qui sont nobles gens, notables et de bonne vie et renommée, s’efforca de rechief injurier ledit suppliant, son maistre, en sa presence, en lui disant plusieurs grans obprobres, lesquelz ledit suppliant qui, comme dit est, est chevalier, ne peut lors dissimuller et de chaude colle et tout mal meu, tira son épée et en donna trois ou quatre coups audit Mynault tant sur la teste et bras que autres parties de son corps. Depuis lesquelz coups ainsi baillez, icellui Minault qui3, à cause desdictes fièvres et boyau rompu, ainsi qu’il est vraysemblable, douze jours après ou environ, par faulte de bon gouvernement ou autrement, est allé de vie à trespas. A l’occasion duquel cas et coups dessusdiz, combien que icellui Mynault, avant son trespas ait dit qu’il ne mouroit à cause desdiz coups, ainçois desdictes fièvres et dudit boyau, ledit suppliant, doubtant en estre aprehendé par justice, s’est absenté du païs, ouquel ne ailleurs en nostre royaume il n’oseroit jamais converser, repairer ni demourer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, en nous humblement requerant icelles. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., audit suppliant avons quicté, remis et pardonné et par la teneur, etc., quictons, remettons et pardonnons le fait et cas dessusdiz avec toute peine, etc. En mettant au neant, etc. Satisfacion, [p. 381] etc. Et l’avons restitué, etc. Et sur ce imposons silence, etc. Si donnons en mandement, etc. au seneschal de Poitou, à son siège de Fontenay le Conte et à tous noz autres, etc., que de noz presens grace, etc., ilz facent, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Tours, ou mois de novembre l’an de grace mil cccc. quatre vings, et de nostre règne le vingtiesme.

Ainsi signé : Par le roy, a la relacion du Conseil. J. de Moulins. — Visa. Contentor. Texier.


1 Nous avons rencontré dans un de nos précédents volumes un Louis Voyer (alias Le Voyer), chevalier, propriétaire du moulin à vent de Chinon en la châtellenie de Palluau, mentionné dans un acte de juin 1455. (Arch. hist. du Poitou, t. XXXII, p. 407.) C’était, suivant toute vraisemblance, le père de ce seigneur du Breuil et de l’Ayraudière. Ces personnages ne sont pas mentionnés sur les généalogies imprimées de la famille de Voyer, illustrée aux xviie et xviiie siècles par les marquis de Paulmy et les comtes d’Argenson. Appartenaient-ils à une branche ignorée de cette maison ou étaient-ils d’une famille différente ? Le nom de la femme de Louis Voyer, Françoise Poussard, cité plus bas, ne peut servir à une identification plus exacte, cette dame ne figurant pas non plus sur la généalogie de cette famille. (Dict. des familles du Poitou, 1re édit., t. II, p. 546 et suiv.) Dans des lettres de rémission données en mars 1481, au profit de Louis Ojart (ci-dessous n° MDCLXXX), relatant un épisode de cette expédition de Bourgogne et de Luxembourg, à laquelle prit part l’arrière-ban de Poitou, dont il est question dans les présentes lettres, notre personnage est nommé Louis Le Voyer, chevalier. Sur les rôles du ban et de l’arrière-ban convoqué, au mois de décembre 1491, sur l’ordre de Charles VIII, par Jacques de Beaumont, sr de Bressuire, sénéchal de Poitou, on lit : « Châtellenie d’Aizenay ; Messire Louis Voyer, chevalier, en homme d’armes » parmi « ceux qui sont dans la garnison de Tyfauges et ordonnez eux y tenir par cy-devant, qui est frontière, lesquelz ont deuement fait la monstre audit lieu ». (Roolles des bans et arrière-bans de la province de Poictou, Xaintonge et Angoumois, Poictiers, 1667. Réimpr. Rouen, 1883, in-4°, p. 64.)

2 D’avril à juin 1480. Le 2 juin de cette année, Louis écrivait de Corbeil aux officiers de la ville de Reims, pour les remercier de leur empressement à fournir des vivres à l’armée de Bourgogne et leur demander d’en envoyer aussi à son armée du Luxembourg. (Vaësen, Lettres de Louis XI, t. VIII, p. 211.) Dans cette expédition, il s’agissait notamment de reprendre Virton, qui, l’année précédente, avait été occupé par le comte de Chimay, lieutenant général de Maximilien, et qui fut, en effet, reconquis par le seigneur de Chaumont, gouverneur de Champagne, à la tête d’une armée de vingt à vingt-quatre mille hommes, « environ la Pentecouste », qui tombait cette année-là le 21 mai. (Molinet, Chronique, ch. lxxi, t. II, p. 239.)

3 Sic. Ce mot est à supprimer.