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MDLXXXV

Lettres d’abolition en faveur de Jean Gaudit, valet de chambre du duc de Calabre, qui avait pris part, avec son maître et Renaud de Velort, à diverses conspirations contre le roi.

  • B AN JJ. 204, n° 28, fol. 18
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 129-134
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Gaudit, naguyeres serviteur et varlet de chambre de nostre cousin le duc de Calabre1, contenant que, durant le temps qu’il estoit ou service de nostredit cousin, il lui a bien voulu obeyr et complaire en toutes les manières qu’il lui estoit possible, sans y espargner personne, et tellement que en ce faisant il nous a cuydé pourter dommaige et inconvenient, et pensant que icellui nostre cousin lui deust faire les biens qu’il lui avoit promis et deliberé en ce faisant de le servir, a fait et commis [p. 130] envers nous plusieurs maulx, crimes, delitz et malefices dont les principaulx et la plus grant partie est cy dedans declairé. C’est assavoir que icellui nostre cousin, ung jour entre autres, lui commanda bailler à lui et à Regnault de Velourt2 les seaulx dont il avoit acoustumé de seeller, lesquelz ledit suppliant gardoit ; ce que ledit suppliant fit par deux ou trois fois. Toutesvoyes ne savoit il lors pourquoy c’estoit à faire. Maiz une foiz ledit Regnault de Velourt lui dit qu’il failloit qu’il serchast du parchemin et de la cire, et lui dit nostredit cousin qu’il fît tout ce que ledit de Velourt lui commanderoit, ce qu’il fit, et bailla du parchemin et de la cire ; et lors apperceut bien que c’estoit pour faire les seelez de Bretaigne contre nous. Et incontinent s’en vint à ung nommé Castillon et lui demanda s’il y avoit long temps que ceste matière se demenoit et il lui dit que ouy et que icellui nostre cousin devoit estre grant seigneur et que le duc de Bretaigne lui devoit aider et sceut de vray que nostredit cousin avoit baillé son seellé audit duc de Bretaigne, et que ledit duc de Bretaigne lui avoit baillé le sien ; et dit icellui nostre cousin audit suppliant que les Anglois descendroient de brief et que nous aurions beaucoup d’affaires. Et lui dit nostredit cousin qu’il ne se soussiast de riens et que une foiz le feroit d’or3 ; maiz pour ce qu’il se doubtoit lui pria qu’il le servist bien et qu’il se donnast bien garde de sa personne et qu’il secouast bien le crevechief (sic) et autres linge, quant il le lui bailleroit. Ce que ledit suppliant promist et jura faire ; et toust après ledit Regnault de Velourt, qui ne serchoit que de l’asseurer et affermer à mal faire, lui demanda se nostredit cousin alloit en Bretaigne, s’il yroit ; à quoy il lui respondit que oy. Et commencèrent à dire [p. 131] l’un à l’autre plusieurs parolles mal sonnans, en disant, entre autres choses, que qui le vouldroit veoir, ne nous ne autre, nostredit cousin de Calabre auroit Angiers, et que nous aurions, avant qu’il fust guères de temps, beaucoup à souffrir et que les Angloix descendroient et que pour lors par sang Dieu, il y en avoit qui vouloient brouller leur maistre envers nous, et que s’ilz estoient congneuz et ilz estoient estrappés, les testes en seigneroient. Et à ce faire et toutes autres choses estoit ledit suppliant deliberé de servir nostredit cousin contre nous et tout autre, et sceut bien que Poncet de Rivière4 et Gilbert de Graçay5 menoyent les trafiques desdiz seelez d’entre nostredit cousin et ledit duc de Bretaigne, et que pour ce faire ilz escripvoient des lettres l’un à l’autre, bien souvent en petitz pelotons de cire gros comme une noix. Aussi sceut bien que ung nommé Brabant alloit souvent en Prouvence devers nostredit oncle le roy de Cecille ; toutesvoyes ne sceut point les causes.

Pareillement seut que, du temps que ledit Regnault de Velourt estoit prisonnier, ledit Brabant eust intelligence avec aucuns des archers de nostre garde, maiz ne sceut point si c’estoit pour faire eschapper icellui Regnault ou pour quoy faire. Sceut bien aussi que ledit Castillon faisoit les voyages, allées et venues devers nostredit cousin le duc de Bretaigne, et le lui disoit icellui Castillon ; et oyt dire ung jour à icellui nostre cousin, lui estant à Sablé, que les Bretons devoient sortir à une Nostre Dame, maiz ne sceut quelque part, si aucun qu’il doubtoit que ce fust vers Angers, pour ce que ledit Castillon lui avoit [p. 132] dit que l’artillerie desdiz Bretons estoit chargée et qu’elle tenoit plus de deux lieues et que Gilbert de Graçay devoit venir avec dix ou quinze mille hommes ès lieux où nostredit cousin de Calabre pourroit avoir à besongner. Savoit bien aussi que ung nommé Gilbert de Verue6 envoyoit aucunes foiz devers icellui nostre cousin, et doubtoit que ce feust de par feu le connestable. Aussi vit des Jacobins qui vindrent de Prouvence devers nostredit cousin, lesquelz se adressèrent audit suppliant et en fit parler l’un à icellui nostre cousin le long d’un buisson, maiz ne sceut riens de leurs parolles, sinon que depuis nostredit cousin lui dist qu’ilz alloient devers nostre frère le duc de Bourbonnois7, pour faire l’appoinctement d’icellui nostre cousin de par nostredit oncle le roy de Secille. Et depuis retournèrent iceulx Jacobins et disoient qu’ilz revenoient de par nostre dit frère le duc de Bourbon et disdrent à icellui suppliant qu’il dist à nostredit cousin de Calabre qu’il confessast au roy le seellé de Bretaigne, s’il estoit vray, et que le roy le savoit bien, ou s’il n’estoit vray, qu’il dist que s’il y avoit homme qui voulsist dire qu’il l’eust baillé, qu’il le combatroit, toutesfoiz s’il estoit vray, qu’il le confessastet qu’il feroit son appoinctement devers nous, et qu’il se fiast ausdiz Jacobins, aux enseignes que quant nostredit cousin de Calabre venoit de Provence et qu’il passa par nostredit frère de Bourbon, qu’ilz se entre offrirent les seellez l’un de l’autre et que Françoys de Saint-Pol8 dist que à une Pasques fleuries, ung homme dudit feu connestable devoit porter en Savoye les seellez de plusieurs des [p. 133] seigneurs de nostre royaume. Aussi sceut par ung nommé Toreau qu’il y avoit ung homme qui avoit parlé à nostredit cousin de Calabre en la ville du Mans en ung jardin et que c’estoit pour faire une entreprinse sur le chasteau d’Angiers et que ledit Toreau lui avoit dit que ladicte entreprinse estoit faillie et que l’omme y avoit failli ; si y avoit il essayé. Oultre plus nostre dit cousin ung jour lui dist que si nous allions de vie à trespas il lui donneroit cinq ou six confiscacions de ceulx qui s’estoient meslez du fait de la mairerie d’Angiers9, et lui dist qu’il ne les oubliast pas en son memoire et que selon le cours de nature, ilz ne lui povoient eschapper ni fouyr et qu’il le feroit si riche qu’il auroit assez, et que une foiz il se serviroit de lui, se le temps venoit à son avantaige, en le chargant qu’il le louast et mist en bon bruit envers les nobles et le peuple, et lui disant que le temps ne dureroit pas tousjours tel et que ung jour il fauldroit hacher en pièces ses malveillans, ce que ledit suppliant lui accorda et lui dist que jamaiz ne serviroit que nostredit cousin ou lui mesmes, et qu’il estoit deliberé ainsi le faire envers et contre tous, en lui tenant bons termes par lui nostre cousin de Calabre. A l’occasion desquelz cas, ledit suppliant congnoissant avoir mal fait envers nous, s’est tiré par devers nous, en nous humblement requerant qu’il nous plaise iceulx maux et delitz et autres qu’il peut par sy devant avoir faiz et commis à l’encontre de nous, lui quicter, remettre, pardonner [p. 134] et abolir et sur ce lui impartir notre grace. Pour quoy nous, ces choses considérées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant pour ces causes et autres à ce nous mouvens, tous et chacuns les cas, crimes et delitz dessusdiz et generalement tous autres qu’il pourroit avoir commis et perpetrez à l’encontre de nous, en quelque manière que ce soit, soit de crime de lèze-majesté ou autrement, nonobstant qu’ilz ne soient cy specifiez et declairez, et lesquelz nous les y tenons pour specifiez, avons quictez, remis, pardonnez et aboliz, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au bailli de Touraine, juge des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine et à tous noz autres justiciers et officiers, etc., que de noz presens grace, quictance, remission, abolicion et pardon ilz facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joir et user plainement et paisiblement à tousjours, etc. Donné au Plessis du Parc lez Tours, ou moys de decembre, l’an de grace mil iiiic lxxvi et de nostre regne le xvime.

Ainsi signé : Par le roy, monseigneur de Beaujeu, les sires de Gyé, mareschal de France, du Lude10, gouverneur du Dauphiné, et autres presens. Robineau. — Visa.


1 Charles II d’Anjou, comte du Maine et de Mortain, duc de Calabre, vicomte de Châtellerault, sur lequel voy. ci-dessus, p. 41 et note.

2 Il est question de ce personnage dans les lettres d’abolition en faveur du duc de Calabre, et dans celles octroyées à Pierre de Dercé (ci-dessus, p. 74.)

3 Sic. Le scribe a peut-être omis ici quelques mots.

4 Poncet de Rivière a été l’objet de deux notices développées, dans notre t. X (Arch. hist., XXXII), p. 104, et dans notre dernier volume, p. 264 et suiv. ; elles seront complétées ci-dessous, à l’occasion des lettres de Louis XI, de mars 1478, lui permettant de relever les fortifications de Château-Larcher.

5 Sur Gilbert de Graçay, cf. ci-dessus, p. 46, note.

6 Le personnage paraît être le même que celui qui est nommé Guillaume de Verrue, dans l’abolition octroyée au duc de Calabre (ci-dessus, p. 49).

7 Jean le Bon, duc de Bourbon et d’Auvergne (ci-dessus, p. 44, note.)

8 C’est-à-dire François de Luxembourg, sr de Fiennes, frère cadet de comte de Saint-Pol, connétable de France (ci-dessus, p. 43).

9 Peu de temps après avoir mis sous sa main l’Anjou, pour se venger de l’attitude du roi René, Louis XI avait octroyé à la ville d’Angers une charte municipale (février 1475), qui, malgré ses dispositions libérales, ne donna pas satisfaction aux habitants et suscita même des troubles par suite des agissements de Guillaume de Cerisay, maire nommé par le roi. (Sur cette affaire, voy. C. Port, Dict. de Maine-et-Loire, au mot Angers ; Lecoy de la Marche, le Roi René, t. I, p. 394 à 400 ; H. Sée, Louis XI et les villes, p. 259 et suiv., et surtout le procès intenté après la mort de Louis XI par plusieurs habitants d’Angers, contre Guillaume de Cerisay, François de Pontbriant, Adam Fumée, etc. Arch. nat. X2a 48, aux 16 février 1848, n.s., 30 août 1485 ; X2a 49, 26 février 1484, n.s. ; X2a 52, 13 et 20 juin 1485, plaidoiries).

10 Sur les sires de Beaujeu, de Gyé et du Lude, cf. ci-dessus, p. 52 et 78.