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MDCVIII

Rémission octroyée à Pierre de Tongrelou, châtelain de Chauvigny pour l’évêque de Poitiers, et à Aimery du Pressoir, archer de la garde du corps, son neveu, coupables du meurtre de Marsault de Sarbonne qui leur avait cherché querelle.

  • B AN JJ. 205, n° 45, fol. 26 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 203-207
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons [p. 204] à tous, presens et advenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Pierre de Tongrelou1, chastellain de [p. 205] Chauvigny pour nostre ami et feal conseiller l’evesque de Poictiers2, chargé de femme et d’enffans, et de Aymery du Pressouer, dit Grant Jehan, archer de la garde de nostre corps de la nacion de France, contenant que, le premier jour de decembre derrenier passé, après ce que lesdiz supplians eurent disné ensemble en l’ostel dudit Pierre de Tongrelou, qui est oncle dudit Aymery à cause de sa niepce que icellui Aymery a espousée, ilz se partirent dudit hostel environ une heure après mydy pour aler veoir la foire qui estoit audit lieu de Chauvigny, et ainsi qu’ilz furent ou cemetière de Saint-Pierre dudit lieu, rencontrèrent ung nommé Guillaume Bizot, vicaire de Pouzoux, auquel ledit de Tongrelou dist qu’il faisoit coupper les boys de nostredit conseiller l’evesque de Poictiers son maistre et qu’il ne luy en prandroit ja bien. Lequel Bizot respondit à icellui de Tongrelou qu’il ne laisseroit point à faire coupper desdiz boys et qu’il avoit aussi bon maistre que luy, et après plusieurs autres parolles, se departirent ledit Bizot et ledit de Tongrelou. Et incontinant après, ainsi que lesdiz supplians s’en aloient ensemble à ladicte foire, eulx tenans par les braz, feu Marsault de Sarbonne survint hastivement vers lesdiz supplians, en adreçant des parolles qui estoient très rigoureuses audit de Tongrelou, [p. 206] que, par vertu d’un mandement qu’il avoit obtenu ou nom dudit evesque de Poictiers, il avoit fait faire deffenses, à paine de mil livres, qu’on ne fist adjourner ne convenir les hommes et subgectz dudit evesque de Poictiers audit (sic) lieu de Montmorillon, en jurant le sang de Nostre Seigneur et haulsant le poing sur son visaige, faisant semblant de le frapper, lui dist qu’il en paieroit bien. Et lors ledit de Tongrelou qui n’avoit aucun baston pour evader et fouir à la chaleur et mauvaise voulenté qu’il veoit que ledit de Sarbonne avoit contre luy, dist audit feu de Sarbonne que ledit evesque de Poictiers, son maistre, estoit appellant, tant pour lui que pour sesdiz hommes et subgectz, du juge et officiers dudit lieu de Montmorillon, et s’il faisoit aucune chose contre ledit appel, que le Parlement y pourverroit. Et icellui de Sarbonne en jurant tousjours le sang de Nostre Seigneur, deist de rechief audit de Tongrelou que en brief temps il s’en paieroit bien. Et ce voyant, ledit de Pressouer, nepveu dudit de Tongrelou, comme dit est, et que ledit de Sarbonne s’efforçoit de vouloir oultrager ledit de Tongrelou, son oncle, lequel il tenoit par dessoubz le braz, dist audit de Sarbonne qu’il ne soufferroit point qu’il oultrageast sondit oncle en sa presence, et qu’il n’estoit point homme à oultrager. A quoy icellui de Sarbonne respondy en jurant de rechief le sang de Nostre Seigneur que si feroit, en tirant ung bracquemart ou dague qu’il avoit à sa sainture, comme demy pié hors de son forreau pour fraper ledit de Tongrelou, suppliant. Et ce voyant, ledit du Pressouer aussi suppliant et que ledit de Sarbonne tiroit sondit bracquemart ou dague, doubtant que il en frapast luy et ledit de Tongrelou, son oncle, tira ung autre bracquemart qu’il avoit à sa saincture et en donna ung seul coup sur la teste dudit de Sarbonne. Et ce fait, se deppartirent d’ensemble, et s’en alla ledit de Sarbonne se faire abiller à barbiers et cirurgiens. Mais ce neantmoins, cinq sepmaines après ou environ, [p. 207] ledit de Sarbonne, par faulte de bon gouvernement ou autrement ala de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, lesdiz supplians doubtans rigueur de justice, nous ont humblement fait supplier et requerir noz grace et provision leur estre sur ce imparties, en nous humblement requerant que, attendu que ledit cas advint de chaude colle et que en autres cas iceulx supplians sont bien famez et renommez et de bonne vie et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actains ne convaincus d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, nous leur vueillons sur ce impartir noz grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, ausdiz Pierre de Tongrelou et Aymery du Pressouer avons remis, quicté et pardonné, etc., avec toute peine, amende et offense corporelle, criminelle et civile, etc., satisfaction faicte à partie civillement tant seullement, se faicte n’est, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. que de noz presens grace, quictance, remission et pardon facent, seuffrent et laissent lesdiz supplians et chacun d’eulx en droit soy joir et user plainement et paisiblement, etc. Donné au Plessis du Parc lez Tours, ou moys de janvier l’an de grace mil iiiiclxxvii, et de nostre règne le xviime.

Ainsi signé sur le reply : Par le roy, l’evesque d’Alby, le grant seneschal de Normandie, le sire d’Argenton et autres presens. L. Tindo. — Visa.


1 Pierre de Tongrelou (M. Babinet l’appelle par erreur Pierre Tongrelou), châtelain de Chauvigny pour l’évêque de Poitiers dès l’année 1474, seigneur de Saint-Martin-la-Rivière près de cette ville, était en même temps échevin de Poitiers depuis l’année 1459. Menacé de radiation, en 1492, et même remplacé, pour cause de non-résidence, il obtint un arrêt qui le rétablissait dans ses fonctions municipales, mais à la charge de résider désormais. Il mourut le 16 août 1496 et fut remplacé par Hilaire Boylesve, maître de la Monnaie de Poitiers. (C. Babinet, les Échevins de Poitiers de 1372 à 1625, brochure in-8°, 1896, p. 16 et 20. Extrait du t. XIX, 2e série, des Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest.) L’inventaire des Archives de la ville de Poitiers par M. Redet mentionne trois actes relatifs à ce personnage : 1° contrat d’échange par lequel Jean Audouyn cède à Pierre de Tongrelou, châtelain de Chauvigny, deux setiers de froment, mesure de Poitiers, et deux chapons de rente, plus douze deniers de cens dus sur une maison en la paroisse de Pouzioux, pour une rente d’onze boisseaux de froment mesure de Chauvigny, 18 août 1474. (F. 85.) 2° Retrait de la dîme de Thurageau fait au profit de la ville de Poitiers par noble homme Pierre de Tongrelou, bourgeois et échevin, seigneur de Saint-Martin-la-Rivière. La ville avait vendu à réméré ladite dîme et une rente de neuf setiers de froment, mesure de Poitiers, et de vingt chefs de poulaille pour le prix de 4.000 écus d’or à Jean de Moulins, seigneur de Rochefort, notaire et secrétaire du roi. 24 mai 1485 (Id., F. 89.) 3° Don par Pierre de Tongrelou, échevin, à la ville de Poitiers de la rente de deux setiers de froment à Pouzioux, près Chauvigny, pour remplir un engagement qu’il avait contracté en entrant dans l’échevinage, 28 juillet 1489. (Id., F. 85.)

En raison du meurtre de Marsault de Sarbonne, Louise Goyon, sa veuve, et leurs enfants avaient poursuivi Pierre de Tongrelou et Aimery Du Pressoir, d’abord devant le sénéchal du Poitou, puis en appel au Parlement de Paris. Les registres criminels de la cour contiennent seulement sur cette affaire, qui fut sans doute interrompue par l’entérinement des lettres de rémission, un arrêt interlocutoire du jeudi 18 juin 1478, dont voici la teneur : « Sur ce que damoiselle Loyse Goyonne, vefve de feu de Marsault de Sarbonne, en son vivant escuier, tant en son nom que comme ayant le bail, gouvernement et administracion des enfans mineurs d’ans dud. deffunt et d’elle, appellant du seneschal de Poictou ou de M. Jehan Prevost son lieutenant, demanderesse en cas d’excès, et le procureur général du roy adjoint avec elle au regard desd. excès, ont requis deffault leur estre donné à l’encontre d’Aimery Du Pressouer et Pierre de Tongrelou, deffendeurs oud. cas d’excès et adjournez à comparoir ceans en personne, sur peine de bannissement de ce royaume et de confiscation de corps et de biens et d’estre actains et convaincus des cas a eulx imposez » ; mais le procureur des intimés présentait des lettres les dispensant de la présence personnelle et les autorisant à se faire représenter en justice dans le procès en cours et en demandait l’entérinement. « Appoincté est que la court verra lesd. lettres, informacions et exploiz, et au Conseil en ordonnera comme de raison sera. » (Arch. nat., X2a 42, à la date du 19 juin 1478.)

On rencontre dans les textes de l’époque deux autres membres de cette famille Tongrelou Lyonnet de Tongrelou était appelant au Parlement, en 1485, de Jean Audouin et de Jean Doulcet, sergents royaux en Poitou contre les chantres, chanoines et chapitre de l’église collégiale de Saint-Pierre de Chauvigny. La cour, par appointement du 10 mai, convertit ses appellations en oppositions sans amende et sans despens et renvoya les parties, à six semaines, par devant le séneschal de Poitou ou son lieutenant à Poitiers, pour procéder sur le principal ainsi qu’il appartiendra par raison (Arch. nat., X1a 4826, fol. 183). Louis Tongrelou, de Chauvigny, se présenta en archer, le 20 septembre 1491, à la convocation du ban et de l’arrière-ban de Poitou ; insuffisamment armé, il lui fut « enjoint d’avoir vouge, hallebarde ou javeline ». Le 26 novembre suivant, il figura à la montre passée en la ville de Poitiers, par-devant Guillaume Arembert, procureur du roi (Roolles des bans et arrière-bans de la province de Poictou, Xaintonge et Angoumois, pet. in-4°, 1667, réimpr. de 1885, p. 46 et 74).

2 Jean VI de Bellay, évêque de Poitiers de 1451 au 13 septembre 1479, date de sa mort.