[p. 111]

MDLXXX

Rémission octroyée à René de Beauvau, écuyer, familier du duc de Calabre, comte du Maine et vicomte de Châtellerault, demeurant avec lui à Châtellerault, à la suite du meurtre d’Antoine Gazeau, qui faisait partie aussi de la maison du duc. Ils se battaient ensemble à coup de dague, après une violente altercation, et Gazeau était déjà blessé, quand le valet de Beauvau survint et lui asséna sur la tête un coup d’épée à deux mains, dont il mourut sur la place.

  • B AN JJ. 204, n° 175, fol. 109
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 111-115
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de René de Beauvau1, escuier, aagé de trente et ung an ou environ, contenant que puis aucun temps ença ledit suppliant est demourant avec nostre très chier [p. 112] et amé cousin le duc de Calabre, conte du Maine et seigneur de Chastellerault2, et pareillement est demourant avec nostredit cousin feu Anthoine Gazeau3. Entre lequel suppliant et ledit feu Gazeau dès le commencement de leur demeure ont eu tousjours parolles riouteuses et aucunes questions et divisions emsamble, et à cause de ce ou autrement, icellui feu Gazeau et icellui suppliant ont, durant leurdicte demeure, consceu entre eulx hayne et malveillance, et tellement que, le jour et feste monsieur saint Lucas derrenierement passé, entre six et sept heures devers le seoir, ledit suppliant et un nommé Anthoine Valory4, lesquelz se pourmenoyent emsemble en une salle en la maison et hostel appartenant à nostredit cousin audit lieu de Chastellerault, survint en ladicte sale ledit feu Gazeau, qui commança à dire audit suppliant qu’il avoit dit et publié que ses parens estoient mauvais gens d’armes. A quoy respondit icellui suppliant que non avoit, maiz pourroit avoir dit qu’il l’avoit oy dire qu’ilz estoient mauvaiz gens d’armes. Adonc demanda ledit Gazeau qu’ilz estoient. Dont lors ledit suppliant ne lui volut respondre qu’ilz estoient et lui dit qu’il n’en sauroit riens. Et pour [p. 113] cuyder eviter noise, ledit suppliant se mist hors de sa voye et se mist sur le banc de ladicte sale, cuydant à son pouvoir fouyr sa fureur et ire dont il monstroit estre remply. Ce neantmoins icellui feu Gazeau se transporta vers ledit suppliant audit banc, au vis et contre la face duquel il meist par deux ou trois foiz le doy en lui disant qu’ils s’entrebatroyent. Auquel ledit suppliant respondit quant il vouldroit. Et en demonstrant ledit feu Gazeau sa fureur et ire, dist tout incontinent audit suppliant : « A ceste heure. » Maiz lui fut respondu cedit (sic) par icellui suppliant qu’il n’avoit point de dague, et s’il en avoit une comme lui, il feroit ce qu’il vouldroit ; et de fait voulu laisser sa dague et aller où ledit suppliant vouldroit pour avoir discuscion avec ledit suppliant et le oultrager, si possible lui estoit, et en lui disant qu’il ne le craignoit ne sa lignée. Lequel suppliant ausdictes menasses et parolles ne respondit riens ; maiz lui, tout courroussé, despit et esmeu en challeur pour occasion d’icelles, derechef se assist sur le banc de ladicte salle, où il ne fut guyères et d’ilec s’en alla soubz et ès alles dudit lieu de Chastellerault assises près la porte des court et entrée de l’hostel et maison dudit lieu, esquelles seul il se pourmena l’espace de demye heure ou environ. Et ce pendent survint èsdictes halles ung nommé Guillaume, tailleur de robbes et habillemens de nostredit cousin le conte du Maine, auquel il raconta lesdites paroles et menasses et que ledit feu Gazeau l’avoit menassé à batre, maiz qu’il sauroit s’il le batroit ou non. A quoy ledit tailleur lui dit qu’il ne lui feist aucune chose et que l’en cuyde aucunesfoiz batre qui l’en tue. Et ledit suppliant lui respondit qu’il n’avoit point de dague et qu’il ne lui feroit ja mal, s’il ne lui en faisoit. Après lesquelles parolles et ainsi que ledit suppliant se pourmenoit, survint devant l’ostel de Harcourt, près lesdictes porte et halles, Guillemin Frogier, serviteur dudit suppliant, auquel il demanda dont il venoit ; lequel lui respondit [p. 114] qu’il venoit de soupper en certain lieu de la ville, ouquel le page dudit Anthoine Valory lui avoit dit que ledit feu Gazeau [et suppliant] avoient eu noize ensemble et que icellui feu Gazeau l’avait volu tuer et oultraiger. Et après ledit suppliant lui demanda sa dague, laquelle il lui bailla, et la print icellui suppliant, en disant à sondit serviteur qu’il s’en allas, ce qu’il fist, et en quel lieu ledit suppliant ne sut, jaçoit ce que ledit Guillemin lui demanda où il yroit, par ce qu’il lui dit ces motz ou autres semblables : « Là, je ne scay où », sans autres parolles lui dire. Et derechef, après ce que ledit suppliant se commança à pourmener seul comme par avant par lesdictes alles, èsquelles il fut bien une heure ou environ tout esmeu en son couraige. Et tantost après ledit feu Gazeau, acompaigné du maistre d’ostel de nostredit cousin et de Briart de Videux et autres issit hors de[s] hostelz d’icellui nostre cousin le conte du Maine, en allant tout droit audit hostel de Harcourt. Et alors l’apperceust ledit suppliant et incontinent s’en issist hors de dessoubz lesdictes hales, en tirant sa dague du fourreau, et rencontra ledit Gazeau à deux ou trois pas de la porte dudit hostel de Harcourt, de laquelle il lui bailla et donna ung cop par l’un des coustez soubz la memelle, eticellui donné, dist audit Gazeau : « Deffent toy, ribault ! » Lequel Gazeau adonc marcha contre ledit suppliant et tira sa dague, et d’icelle le voult frapper et oultraiger, maiz ledit suppliant se couvrit de sadicte dague, sur laquelle icellui Gazeau frappa tellement qu’il la lui rompit, et celle dudit Gazeau cheut à terre, ne scest ledit suppliant s’il l’en bleça à la main ledit Gazeau. Et pendant ce qu’ilz s’entrebatoient survint et arriva ledit Frogier, serviteur dudit suppliant, dont il venoit riens n’en savoit, avec une espée à deux mains, dont tout esmeu il frappa ledit Gazeau sur la teste tellement qu’il cheut à terre presque mort. Neantmoins il se releva, maiz desdiz cops il est décédé incontinent ou [p. 115] peu de temps après. Et parellement frappa ung autre copt ledit varlet dudit suppliant sur le serviteur dudit feu Gazeau de sadicte espée, dont il lui avalla l’espaule ; toutes-voyes il en est guery ou du moings en espouer de guerison et n’y a plus de dangier en son cas. Pour occasion desquelz cas ledit suppliant est en franchise audit lieu de Chastellerault, où il est en voye de n’en bouger et y finir durement et miserablement ses jours, se noz grace et misericorde ne lui estoyent sur ce imparties, si comme il dit, en nous humblement requerant que, attendu que ledit feu Gazeau a esté premier agresseur, et aussi que de tout son temps il a esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques maiz avoir esté actaint d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise lui quicter, pardonner et remettre ledit cas et sur ce lui impartir nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, ce consideré, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, etc. Aux seneschal de Poictou, bailli de Touraine, des ressors exempcions d’Anjou et du Maine et à tous, etc. Donné au Plessis du Parc lez Tours, ou moys de novembre, l’an de grace mil iiiic soixante seize, et de nostre regne le seziesme.

Ainsi signé : Par le roy, Ja. Beriseau. — Visa. Contentor. Duban.


1 René de Beauvau seigneur du Rivau et de la Bessière, fils de Pierre, mort en 1453 des suites des blessures qu’il avait reçues à la bataille de Castillon, et d’Anne de Fontenay, fut aussi, à cause de sa mère, baron de Saint-Cassien en Loudunais. Écuyer de Charles II du Maine, duc de Calabre, capitaine pour ce prince de la ville de Mayenne, il avait épousé en secondes noces Alix de Beauvau sa parente, seconde fille de Louis de Beauvau, seigneur de Champigny et de la Roche-sur-Yon, dont il eut huit enfants. Il mourut le 25 mars 1510. (La Chesnaye-Desbois, Dict. de la noblesse, t. II, p. 749.)

2 Sur Charles II d’Anjou, duc de Calabre, comte de Mortain, vicomte de Châtellerault, etc. Cf. ci-dessus, 41, note.

3 Ce personnage ne semble pas pouvoir être rattaché à la famille Gazeau du bas Poitou dont onze branches sont connues par la généalogie qui en a été publiée récemment par MM. Beauchet-Filleau (Dict. des familles du Poitou, t. IV, p. 15-26). Il y eut d’ailleurs d’autres familles du même nom en Poitou et nous en avons cité plusieurs membres dans notre tome X. (Arch. hist., t. XXXV, p. 89.)

4 Famille originaire de Florence, dont une branche vint s’établir en France dans les dernières années du xive siècle ; elle eut pour auteur Gabriel Valori, attaché à l’hôtel de Louis de France, duc d’Anjou, roi de Naples, dont les descendants restèrent au service de la maison d’Anjou. Antoine, nommé dans le présent acte, était le second fils de Louis Valori, écuyer de Charles Ier, comte du Maine et de Mortain, frère de Louis III, duc d’Anjou, qui fut ensuite maître d’hôtel de ce prince et écuyer de Charles VII et de Catherine de Brisay, d’une famille poitevine. Il épousa Isabeau de Montalembert. Son frère aîné, Georges, était capitaine du château de Melle pour le duc de Calabre en 1473. (Dict. de la noblesse, t. XIX, p. 464.)