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MDCXLIII

Rémission obtenue par André Cornu, de Beauvoir-sur-Mer, coupable du meurtre de Colinet Rousseau, dans une taverne du lieu, à la suite d’une querelle de jeu.

  • B AN JJ. 205, n° 329, fol. 187
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 301-303
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amys charnelz de André Cornu, povre homme de labour, aagé de xxiiii. ans ou environ, chargé de jeune femme et mesnage, demourant en la parroisse de Beauvoir-sur Mer en Poictou, contenant que à ung jour de mercredi sixiesme de ce present moys d’octobre, ledit André se transporta, environ deux heures après midi, en l’ostel d’un nommé Thomas Julienne, tavernier, demourant audit lieu en la compaignie de feu Colinet Rousseau, barbier, de Fabien Thomasset et autres, pour illec eulx esbatre et passer temps, et quant ilz y furent ilz se misdrent, lesdiz André Cornu et deffunct à jouer l’un contre l’autre aux quartes pour ung quart de vin vallant troys deniers et maille tournois, [p. 302] en une chambre haulte dudit hostel, lequel quart de vin ledit André Cornu perdit et pour le paier mist une targe sur la table, laquelle targe ledit deffunct et print en sa main et en après se prinst à jouer icellui André Cornu avec ledit Fabien Thomasset pour ung autre quart de vin, lequel pareillement il perdit et pour ce dist audit deffunct ses parolles ou semblables : « Colinet, baillez moi ma targe, pour paier mon escopt. » A quoi ledit deffunsct respondit gracieusement telz motz ou semblables : « Tu n’en auras ja point. » — « Et pourquoy, dist ledit André Cornu, ne me baillerez-vous mon argent ? » — « Par le sang Dieu, dist ledit deffunct, tu n’en auras ja point, et se tu me fay haster, je te batray bien. » Après lesquelles parolles dictes, ledit André se dessendit de ladite chambre haulte et dudit hostel et vint à baz parler à l’oste et lui dist telz parolles : « Colinet me detient mon argent. Vous estez l’oste, faictes le moy rendre, autrement il y aura noise ; il me menace. » A quoy ledit hoste respondit qu’ilz n’estoient que yvrognes et qu’ilz le laissassent en paix. Et alors ledit André Cornu remonsta en ladicte chambre haulte et dit derechief audit deffunct qu’il lui rendist son argent ou qu’il le garderoit de sortir de ladicte chambre et se mist contre la porte d’icelle chambre. Et tantost, après ledit deffunct se leva du lieu où il estoit assis et dist : « Ha ! paillart, par la mort Dieu, je t’en paieray bien », et tira une dague qu’il avoit à sa sainture et en bailla à icellui André deux ou troys coups sur la teste, tellement qui le blessa jusques à grant effusion de sang, et ce fait se dessendit ledit deffunct de ladite chambre haulte et s’en ala en la chambre de l’oste où estoient Jehan Grasmouton1 et [p. 303] Jehan Lombart, qui jouoient aux quartes, disant par ledit deffunct comme tout effrayé telz parolles : « Est-il advis à ce truant qu’il doit estre mon maistre ? Par la mort Dieu ! je l’en garderay bien. » En disant lesquelles parolles, ledit André entra en ladite chambre de l’oste et en la presence dudit deffunct, dist aux assistans illec ces parolles : « Hee ! Messieurs, regardés en quel point il m’a mis, et me detient mon argent. » Et dist en oultre audit deffunct : « Tu m’as blecé et batu et me detiens mon argent ; je le te rendray. Rens moy mon argent, et tu ne feras que sage. Rens le moy ou tu t’en repentiras. » Dont ledit deffunct ne tint conte et ne fist que secouer la teste et se mocquoit dudit André Cornu. Par quoy voyant ledit André que ledit deffunct l’avoit ainsi batu et injurié et qu’il lui detenoit son argent et se mocquoit de lui, lui esmeu de chault couraige, tira ung petit cousteau dont il tailloit son pain et en frappa ledit deffunct ung coup environ la gorge ; au moyen duquel coupt mort s’est ensuie en la personne dudit deffunct. Pour lequel cas ledit André Cornu a esté prins et constitué prisonnier par la justice dudit lieu et en est encores detenu en estroite et miserable prison, en danger de sa personne, se notre grace ne lui estoit sur ce impartie, si comme dient sesdiz parens et amys charnelz, suppliants, en nous humblement requerant icelle. Pourquoy, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers ou à leurs lieuxtenans et à chacun d’eulx, si comme à lui appartiendra, etc. Donné à Tours, ou moys d’octobre, l’an de grace mil cccc. soixante dix neuf, et de nostre règne le xivme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Audé. — Visa. Contentor, Burdelot. — Registrata.


1 Jean Grasmouton est le nom d’un sergent royal en Poitou, qui, en 1460, exerçait son office dans cette région. (Cf. Arch. hist. du Poitou, t. XXXV, p. 166, note.) On trouve aussi, à cette époque, un Jean de Grasmouton, écuyer, sr dudit lieu près Clisson, qui avait épousé Jeanne, fille de Jean de La Brunetière, écuyer, sr du Plessis-Gesté. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. II, p. 59.)