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MDCXLVIII

Confirmation des lettres de rémission délivrées par Charles de Savoie, lors de son passage à Lande, près Blois, en faveur de Jean Baillon, de la Ménardière en la châtellenie de Champigny-sur-Veude, coupable du meurtre de sa femme, de complicité avec la femme de Pierre Berengier, sa maîtresse.

  • B AN JJ. 205, n° 462, fol. 262 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 312-316
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Baillon, povre homme de labour, du lieu de la Menardière en la parroisse de Lièzes en la chastellenie de Champigny-sur-Veude, contenant que le xxviiie jour de decembre derrenier passé, nostre très cher et très amé nepveu Charles de Savoye1, estant en la terre et seigneurie de Lande lez Bloys, où jamais n’avoit esté, ès prisons duquel lieu il trouva detenu prisonnier ledit suppliant pour le cas contenu en ses lettres cy après incorporées, desquelles prisons nostredit nepveu, en usant des droiz, prerogatives et preminences, dont ont acoustumé [p. 313] joyr et user ses semblables et predeccesseurs du sang et linaige de la maison de France, ait à sa première venue et entrée en ladite terre et seigneurie de Lande, delivré et mis hors desdites prisons icelluy suppliant et quicté, remis et pardonné le cas pour lequel il estoit detenu prisonnier, lequel cas est à plain declairé et contenu ès dites lettres de nostre dit nepveu, desquelles la teneur s’ensuit :

Charles de Savoye, à tous presens et avenir, salut. Savoir faisons que, comme à nostre première entrée et joyeux advenement en chacune des villes et justices du royaume de France, en usant des droiz, prerogatives et preeminences que ont acoustumé joyr et user ceulx du sang et lignaige de la maison de France, nous soit loisible et appartiengne de delivrer et mettre ou faire delivrer et mettre hors des prisons tous et chacuns prisonniers detenuz en icelles, pour quelque cas que ce soit, et leur remettre, quicter et pardonner à plain, à tousjourmais, tous les faiz, cas et crimes par eulx commis et perpetrez et par quoy ilz sont detenuz prisonniers, avecques toute peine, amende et offense corporelles, criminelles et civiles qu’ilz pevent et doivent pour ce estre encouruz, et soit ainsi que nous soions venuz en la terre et seigneurie de la Lande lez Bloys où oncques mais n’avions esté ; ouquel lieu avons trouvé prisonnier ung nommé Jehan Baillon, de la Menardière en la parroisse de Lièzes en la chastellenie de Champigny sur Veude, lequel nous a fait dire et confesser estre vray que le derrenier dimanche du moys d’avril l’an mil iiiiclxxvii, après qu’il eut disné avecques ung nommé Pierre Barengier et Julienne, sa femme, en leur maison en la parroisse de la Tour Saint Gelin, et s’en ala chez luy, et bien tost après retourna chez ledit Berenger où il trouva ladite Julianne, laquelle il maintenoit et avoit maintenue six ou sept ans et eulx d’eux s’en alèrent derriere ladite maison entreprendre de faire mourir la femme d’icelluy Baillon, pour ce qu’ilz n’en povoient pas faire à leur voulenté, en disant [p. 314] par ladite Juliane : « Se nous ne la faisons mourir, elle vous fera mourir vous mesmes. Vous savez que mes frères vous ont menacé et cuidé tuer par plusieurs foys par le langaige d’elle ; car elle dit de nous tout le piz qu’elle peut. Et quant elle sera morte, je trouveroi bien façon après de faire mourir mon mary, et puis serons mariez ensemble. » Ausquelles choses ledit Baillon se consentit. Et après ce luy dist ladite Julianne : « Vous reviendrez au soir icy et direz à mon mary que je aille querir du blé en vostre maison et que vous nous en presterez. » Ce que fist ledit Baillon et de là s’en alla soupper chez son père, et après retourna en sa maison où il trouva sa femme qui n’estoit pas encores couchée, et attendant qu’elle se couchast, saillit hors de la maison et aussi pour venir au devant de ladicte Julianne, laquelle arriva bientost après avecques ung sien enfant aagé de cinq à six ans qu’elle mist dedans du rouzeau que ledit Baillon avoit amassé pour faire une maison. Adonc demanda ladite Julianne audit Baillon : « Que fait vostre femme ? » Luy respondit : « Elle dort. » Dist ladite Julianne : « Alons la tuer ! » Respondy ledit Baillon : « Je n’y entreray jà, je n’oseroye ; vous le ferez bien toute seulle. Elle n’a force plus que ung enfant. » Et incontinent entra dedans la maison ladite Julianne et trouva la femme dudit Baillon endormie, la print à la gorge et l’estrangla. Après saillit hors la maison et vint audit Baillon qui l’attendoit dehors ; lequel luy demanda : « Est-elle morte ? » Respondit ladite Julianne : « Oy. » Adonc entrerent eulx deux jusques à l’uys de ladite maison, et luy dist ledit Baillon : « Elle n’est pas morte, je l’ay oye crier. Retournez la achever ; car si elle demouroit ainsi, nous serions diffamez et encusez. » Ce que fist ladite Julianne, et après sortit dehors et dist audit Baillon : « Elle est maintenant toute morte. » Lequel s’écria et dist : « Nostre Dame que ferons-nous ? » Dist ladite Juliane : « Avez-vous paour ? Je feray bien qu’on cuidera qu’elle soit morte tout [p. 315] par elle. » Adonc entrerent dedans ladite maison et aluma ladite Julianne une chandelle de cire qu’elle avoit apportée de sa maison et la bailla à tenir audit Baillon ; puis print de la mye de pain2 et ung euf, puis les batit ensemble et mist sur le visaige de ladite Jehanne. Et cela fait, s’en partirent et alla ledit Baillon chez une sienne seur et luy dist : « Je cuide que ma femme est morte ! » Adonc alèrent eulx deulx en la maison dudit Baillon et la trouvèrent toute morte. Luy dist ledit Baillon : « Dictes qu’elle n’est pas achevée de mourir, quant nous sommes venuz. » Et de là alèrent ledit Baillon et sadite seur chez leur père et luy dirent que la femme dudit Baillon estoit morte. Duquel cas ledit suppliant, doubtant estre actaint et convaincu en justice …3 se nostre bonne grace et misericorde ne luy estoit sur ce impartie. En nous humblement requerant icelle. Pour quoy nous, considerans ce que dit est, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, et en usant des droiz, prerogatives, preeminences et choses dessus dictes, à icelluy suppliant avons, ou cas cy dessus, delivré, remis, quicté et pardonné, delivrons, remettons, quictons et pardonnons, de grace especial, par ces presentes, le cas et crime dessus declaré, avecques toute peine, amende et offense corporelle, criminelle et civile, en quoy pour occasion dudit cas il pourroit estre encouru envers justice, et le restituons à sa bonne fame et renommée, au pays et à ses biens non confisquez. Satisfacion faicte à partie civilement, se faicte n’est. Et sur ce imposons sillence perpetuel au procureur dudit lieu de Lande et à tous autres du royaume de France, presens et avenir. Si donnons en mandement au bailly et prevost dudit lieu de Lande, ou à leurs lieuxtenans et à tous autres justiciers et officiers de [p. 316] cedit royaume, ou à leurs lieuxtenans, et à chacun d’eulx, si comme à luy appartiendra, que ledit suppliant facent, seuffrent et laissent joyr et user de nostre presente grace, quictance, remission et pardon, sans le molester ou empescher, ne souffrir estre molesté ou empesché en aucune manière au contraire. Car tel est nostre plaisir et voulons ainsi estre fait. Et affin que ce soit chose ferme et estable à tousjours mais, nous avons signé ces presentes de nostre main et fait signer à nostre secretaire. Faict et donné audit lieu de Lande, en l’absence de nolz seaulx, le mardei xxviiie jour de decembre l’an mil iiiiclxxix.

Ainsi signé : Charles de Savoye et P. Duboys, son secretaire.

Au moien desquelles lettres ledit suppliant a esté mis hors et delivré desdites prisons, mais il doubte que, sans avoir sur ce de nous lettres de grace, quictance, pardon et remission dudit cas, confirmatoires desdites lettres de nostredit nepveu, que noz justiciers et officiers ou les aucuns d’iceulx luy voulsissent mettre et donner empeschement en la joyssance, effect et entérrinement desdites lettres et que par ce elles luy feussent illusoires et de nulle valeur et effect, si comme il dit, requerant humblement icelles noz lettres de confirmacion, quictance, pardon et remission. Pour quoy, etc. au bailly de Touraine et à tous, etc. Donné au Pleysseis du Parc, ou moys de mars, l’an de grace mil iiiiclxxix et de nostre règne le xixe avant Pasques.

Ainsi signé : Par le roy, maistre Jehan de la Vacquerie4 et autres presens. Parent. — Visa. Contentor. Rolant. — Registrata.


1 Ce jeune prince, né à Carignan, le 29 mars 1468, était le fils puîné d’Amédée IX, duc de Savoie, et d’Yolande de France, fille de Charles VII, mariés en 1452. Il était donc doublement neveu de Louis XI, d’abord par sa mère, puis par Charlotte de Savoie, sa tante, reine de France ; il l’était aussi du duc de Milan, Galéas-Marie Sforza, qui avait épousé son autre tante, Bonne de Savoie. Charles était d’ailleurs élevé en France par les soins du comte de Dunois auquel le roi l’avait confié. Son frère aîné Philibert Ier étant mort à l’âge de dix-sept ans, sans enfants, le 22 avril 1482, il lui succéda en qualité de duc de Savoie, sous la tutelle de Louis XI, et mourut lui-même âgé de vingt et un ans seulement, à Pignerol, le 13 mars 1489, laissant cependant de Blanche, fille de Guillaume, marquis de Montferrat, qu’il avait épousée l’an 1485, un fils Charles II, qui lui succéda, et une fille Louise-Yolande, qui devint femme de Philibert de Savoie. (Art de vérifier les dates, in-fol., t. III, p. 623.)

2 Par distraction, le copiste du registre a écrit « main » au lieu de « pain ».

3 Il y a ici une omission évidente du registre [L.C.].

4 Jean de La Vacquerie, chevalier, reçu conseiller au Parlement le 12 novembre 1479, quatrième président après la mort de Jean de Popincourt, le 30 mai 1480, remplaça en qualité de premier président Jean Le Boulanger, décédé le 24 février 1482, et après avoir exercé cet office pendant environ seize ans, il mourut à Paris au mois de juillet 1497. (L’Hermite-Souliers et Blanchard, Les éloges des premiers présidents du Parlement de Paris. Paris, 1645, in-fol., p. 43.)