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MDCI

Rémission en faveur de François et Jean de Vaucelles, écuyers, et de Pierre Delatouche, leur serviteur, pour le meurtre de Jehannin Millaud, chez qui ils s’étaient rendus, pour lui faire réparer le tort qu’il avait causé à un de leurs hommes, son neveu Macé Millaud, et avec lequel ils avaient été obligés d’engager la lutte, parce qu’il les avait accueillis à coups de bâton.

  • B AN JJ. 203, n° 22, fol. 12
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 179-185
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons [p. 180] à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de François et Jehan de Vaucelles1, frères, escuiers, aagez de vingt-cinq et vingt-six ans ou environ, et Pierre Delatouche, leur serviteur, aagé de xxii. ans ou environ, contenant que, le jeudi au soir qui fut le xiiime jour de ce present mois de novembre, le filz d’un nommé Jehan Aumur, métayer de la Roullure, et ung jeune enffant aagé de dix à douze ans, varlet et serviteur des métayers du lieu des Vigneaulx en Anjou, appartenant ausdiz de Vauselles, supplians, chargèrent certain bois pour ung nommé Macé Millaud et en charroyant, eulx estans ou grant chemin tendant du lieu où ils avoient chargé ledit boys à la maison dudit Macé Millaud, rencontrèrent feu Jehannin Millaud, oncle dudit Macé Millaud, lequel demanda audit varlet des Vigneaulx, qu’il rencontra le premier, pour qui il charroyoit. Lequel luy respondit que s’estoit pour ledit Macé Millaud, son nepveu. Et tantost après vint (le filz dudit Jehan Aumur, soubz couleur de ce qu’il disoit qu’il avoit passé par sa terre, qui n’estoit vray, mais avoit passé seulement)2 qu’il avoit et portoit à sondit nepveu ou autrement, de sa mauvaise voulenté, commença à jurer et regnier Dieu en disant qu’il tueroit le filz dudit Aumour (sic), soubz couleur de ce qu’il [p. 181] disoit qu’il avoit passé par sa terre, qui n’estoit vray, mais avoit passé seulement par le grant chemin. Et lequel feu Jehannin, sans plus dire, impétueusement et par force se print aux beufz et charrestes où estoit ledit bois chargé, et deslya lesdiz beufz oultre le gré et voulenté desdiz enffans ; et pour ce que lesdiz enffans vouldrent empescher ledit feu Jehannin de deslyer lesdiz beufs, leur dist en maulgréant le nom de Dieu, que s’ilz se mettoient au devant de luy, qu’il les tueroit ou les mettroit en exoine de leurs corps ; et leur dist que si les beufz de ladicte mestayrie des Vigneaulx y eussent esté, qu’il leur eust couppé les jarrectz ; et en persistant et persévérant en sa fureur, de félon courage rompit les escoubles de la charreste dudit Aumur et emporta les juylles dont lesdiz beufz estoient lyez, en jurant et despitant que s’il les eust trouvez charroyant par le lieu où ilz avoient passé, qu’il eust tué lesdiz enffans charrestiers. Et tantost après le filz dudit Aumur trouva ledit Macé Millaud, à qui estoit ledit boys et luy dist et récita en plourant que ledit feu Jehannin avoit emporté lesdictes juilles de ses beufz, et fait les oultrages dessusdiz et lui pria qu’il lui fist rendre lesdites juilles audit feu Jehannin, ad ce qu’il peust charroyer le lendemain. Et lors ledit Macé Millaud et ledit filz dudit Aumur allèrent par devers ledit feu Jehannin et lui prièrent qu’il rendist lesdictes juilles. Lequel fist responce qu’ilz ne les auroient jamès. A quoy ledit Macé respondit que ce n’estoit pas bien fait à lui d’avoir fait lesdiz excès et oultrages ausdiz enffans, ou grant chemin du roy et de retenir lesdictes juilles. A ceste cause ledit Macé s’en vint audit lieu des Vigneaulx, pour se plaindre ausdiz de Vauselles supplians, des excès que ledit feu Jehannin lui avoit faiz et qu’il lui faisoit tous les jours ; où il trouva lesdiz de Vauselles, supplians, qui vouloient aler soupper ; ausquelz il récita les excès et oultraiges que ledit feu Jehannin lui avoit faiz et ausdiz enffans, et les requist [p. 182] qu’il leur pleust lui faire rendre sesdictes juilles de ses beufz par ledit feu Jehannin et lui faire donner pacience par lui, ou autrement qu’il leur quicteroit leur heritage qu’il tenoit d’eulx à cause dudit lieu des Vigneaulx et laisseroit le pays. Lesquelz de Vauselles de prime face ne vouldrent croire le dire et rapport dudit Macé Millaud. Et dist ledit Jehan de Vauselles audit Macé qu’il feist adjourner ledit feu Jehannin pour lui donner seureté ; et pour ce que ledit Macé se complaignoit toujours dudit feu Jehannin, son oncle, envoyerent querir lesdiz enffans qui avoient charroyé ledit bois, qui leur rapporterent et confirmèrent que ledit feu Jehannin Millaud avoit fait les oultrages dessusdiz et qu’il avoit emporté lesdictes juilles et lesquelles il n’avoit depuis voulu rendre, combien qu’ilz lui eussent demandées, ce que lesdiz de Vauselles supplians ne vouldrent encores croire. Et pour faire rendre lesdictes juilles, lesdiz de Vauselles supplians envoyèrent par deux foiz par devers ledit feu Jehannin qui ne les voult rendre. Et comme le messaigé s’en retournoit droit audit lieu des Vigneaulx, trouva lesdiz de Vauselles et Delatouche, supplians, qui venoient pour savoir si ledit feu Jehannin avoit rendu lesdictes juilles, lequel messaigé leur dist que ledit feu Jehannin avoit juré qu’il ne les rendroit point. Et lors lesdiz de Vauselles supplians allèrent près la maison dudit feu Jehannin et ledit Macé avecques eulx, et de rechief fisdrent demander lesdictes juilles audit feu Jehannin, qui respondit en effect comme dessus. Et de rechief ledit Macé Millaud dist audit feu Jehannin qu’il rendist ou fist rendre lesdictes juilles à celle fin qu’il n’en fust point de noise. Lequel respondit en rigoureuses parolles et en jurant la mort Dieu que, s’il sortoit dehors de sa maison, qu’il les feroit bien en aller, et qu’il venoit querir à son huys ; et de rechief luy dist que s’il aloit a luy, il lui bailleroit tant de coups qu’il ne s’en sauroit aler. Lequel Macé courroussé et indigné des menasses dudit feu [p. 183] Jehannin et du tort qu’il luy faisoit, print ung groz bout de boys et en frappa contre l’uys de la maison dudit feu Jehannin tellement qu’il ouvrit ledit huys. Et après lesdiz supplians entrèrent au dedans de l’uysserie de ladicte maison, et en entrant, ledit Jehan de Vauselles demanda s’il auroit point lesdictes juilles. Et lors ung des filz dudit feu Jehannin qui estoit caché derrière ledit huys, cuida frapper ledit François sur la teste d’un groz levier ou baston qu’il tenoit, ce qu’il eust fait, si ledit François n’eust fouy au coup et luy tumba ledit baston à terre, et fut prins ledit levyer ou baston par ledit Jehan de Vauselles pour garder que ledit filz dudit feu Jehannin ne le reprint pour en frapper. Lequel feu Jehannin Millaud, qui estoit pareillement caché derrière ledit huys vint audit Françoys et s’efforça le frapper de poulz d’une eschalle à rollons qu’il tenoit. Lequel François mist au devant du coup une javeline qu’il tenoit et ne scet si ledit feu Jehannin se blessa à ladicte javeline ou comment, par ce qu’il estoit nuyt et ne veoit gueres cler. Lequel feu Jehannin print ladicte javeline et pour ce qu’il ne la vouloit lacher, ledit Pierre Delatousche frappa sur ledit feu Jehannin Millaud, tellement qu’il luy feist lascher ladicte javeline, le tumba à terre et se mist sur luy. Et sortit ledit François hors de ladicte maison et vit que le fer de sadicte javeline estoit sanglant, et adonc il dist audit Pierre Delatousche qu’il laissast ledit feu Jehannin et que à son advis il s’estoit blessié ; ce que fist ledit Delatousche. Et alors ledit feu Jehannin dist qu’il estoit blessié, et incontinent lesdiz supplians, de ce desplaisans, vindrent audit feu Jehannin et apperceurent qu’il avoit une plaie en la cuisse par où il perdroit son sang et envoyèrent quérir par ledit Macé Millaud une brebiz dont ilz prindrent de la layne avec de l’uyle et habillèrent ledit feu Jehannin au mieulx qu’ilz peurent. Et ce fait, ledit Jehan de Vauselles mist la main dessus pour garder qu’il ne perdist son sang, et envoyèrent [p. 184] ledit Delatousche chez un nommé Peutin, pour habiller ledit feu Jehannin Millaud. Et ainsi lesdiz de Vauselles supplians s’en sortirent en disant à la femme dudit feu Jehannin qu’elle tensist tousjours l’emplastre avecques la main sur la plaie. Et depuis, par deffault que on ne peut lors trouver ne recouvrer aucun sirurgien ne estancher ledit feu Jehannin, il perdit tout son sang et, la nuyt mesmes, par deffault de bon gouvernement ou autrement, il alla de vie à trespas. Pour l’occasion duquel cas lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, se sont absentez et n’oseroient jamais converser ne retourner ou pays, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requérans que, attendu que ledit cas est advenu sans deliberacion et par mesgarde et [sans la] coulpe desdiz supplians, et que jamais n’avoient eu question ou debat audit feu Jehannin, et que lesdiz supplians en tous autres cas sont bien famez et renommez, sans jamais avoir esté actains ne convaincuz d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche, nous leur vueillons sur ce impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy, etc., en mettant au néant, etc., et les avons restituez, satisfacion faicte, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, aux baillifz de Touraine, Saint-Pere le Moustier, seneschal de Poictou, ou à leurs lieuxtenans, etc., sans leur faire, mettre ou donner, etc., ainçoys se leurs corps, etc. Et afin que ce soit chose ferme, etc. Donné au Plesseis du Parc, ou mois de novembre, l’an de grace mil cccc. soixante dix sept, et de nostre règne le dix septiesme.

Ainsi signé, par dessus le reply desdictes lettres : Par le roy en son Conseil, ouquel estoient l’evesque d’Alby3, le [p. 185] sire du Lude4, Me Raoul Pichon5 et autres presens. Petit. — Visa.


1 Dans la courte notice généalogique sur cette maison, donnée par M. Beauchet-Filleau (Dict. des familles du Poitou, 1re édit., t. II, 778) et reproduite en partie par l’abbé Lalanne, à propos des seigneurs de la Citière (Hist. de Châtelleraud, t. Ier, p. 384), on ne trouve point, à l’époque où nous sommes arrivés, deux frères portant les noms de François et Jean. Cependant François pourrait être le fils aîné, mort jeune et sans postérité, de Simon de Vaucelles, seigneur de la Citière, qui, d’après le savant généalogiste, épousa, le 6 mai 1455, Jeanne, fille de Nicolas-Joseph de La Touche d’Avrigny et eut pour fils Jean, chevalier, sr de la Citière, Biazay, etc., marié, le 16 septembre 1480, à Catherine de Signy, et Charles, qui aurait été tué à Marignan.

2 Sic. Bien qu’il n’y ait pas de blanc au registre en cet endroit, il est évident que le scribe par distraction a omis tout un membre de phrase, sinon plusieurs phrases. Le membre de phrase entre (), qui est répété un peu plus loin, à sa vraie place, doit avoir été écrit, par erreur, au lieu d’un membre de phrase, qu’exigerait le sens, sur la réplique de Jehannin Millaud [L.C.].

3 Louis d’Amboise, l’un des nombreux fils de Pierre d’Amboise, seigneur de Chaumont, et de Jeanne de Bueil, promu, le 24 janvier 1474 au siège épiscopal d’Albi, qu’il occupa jusqu’au mois de mai 1497, siégeait au conseil de Louis XI depuis l’année 1471.

4 Jean de Daillon, sr du Lude. (Cf. ci-dessus, p. 52.)

5 Raoul Pichon avait été reçu conseiller au Parlement le 10 mai 1454 et résigna cette charge, l’an 1491, en faveur de Nicolas Pichon, son fils. (Blanchard, Catalogue de tous les conseillers en Parlement, p. 24.) Louis XI l’employa souvent à ses plus secrètes affaires ; il l’avait chargé entre autres, en 1474, d’une mission auprès de sa sœur la princesse de Viane, et l’avait nommé, par lettres du 22 septembre 1476, l’un des juges du duc de Nemours. Cf. une note de J. Vaësen sur ce personnage. (Lettres de Louis XI, t. VII, p. 222.)