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MDCCXIX

Rémission obtenue par Antoine Mangarineau, écuyer, meurtrier d’un nommé Jacques Frappier, braconnier, qu’il avait surpris en train de pêcher à Asnières dans les pêcheries réservées de l’abbé de Trizay, son frère, et avec lequel il avait été obligé pour se défendre, d’en venir aux mains.

  • B AN JJ. 207, n° 277, fol. 125 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 536-539
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Anthoine Mangari neau, escuier, aagé de vingt ans ou environ, contenant que le unzeiesme jour du mois de juing derrenier passé, il s’en alla de l’abbaye de Jart, où il estoit allé veoir ung sien frère qui y est religieux, au lieu et maisons d’Asnières deppendant de l’abbaye de Trisay1, par devers son frère qui [p. 537] est abbé de ladicte abbaye de Trisay, avecques lequel abbé de Trisay ledit suppliant se tint par aucun temps. Et pour ce que ledit abbé de Trisay, à cause de sadicte abbaye a de beaulx et grans deffends et pescheries en une rivière appellée l’Oyon2, esquelles pescheries nul autre que ledit abbé n’a aucun droit de pescher et prandre poisson, icellui abbé avoit fait mettre ses travaulx et engins à pescher en ladicte rivière, dedans sesdictes pescheries, et le xiiiie dudit mois de juing ledit suppliant et ung nommé Thomas Charlot, bourdier dudit abbé et demourant en ladicte maison d’Asnières, environ l’eure de huit heures de matin, se partirent dudit lieu d’Asnières pour aller ès dictes pescheries lever sesdiz travaulx et engins pour savoir se il y avoit aucun poisson prins, et pour apporter lesdiz engins, ledit Thomas Charlot monta sur une jument ; et au regard dudit suppliant, il print une sienne arbaleste et deux ou trois materactz pour tirer les oyseaulx de mer et de rivière, pour ce que c’estoit sur les marroys, sans ce qu’il eust dague ne espée ne aucun autre baston. Et s’en allèrent lesdiz suppliant et Charlot vers ladicte rivière. Et quant ledit suppliant fut près d’un villaige appellé la Grenoillère, il apperceut de loing ung homme qui peschoit esdictes pescheries et deffens dudit abbé de Trisay, son frère, et pensant que ledit homme eust ung vesseau pour lever lesdiz engins ledit suppliant qui se esmoyoit (sic) fort d’en trouver ung, monta sur ladicte jument et s’en alla jusques au lieu où estoit ledit homme. Et lui illec arrivé, il apperceut que c’estoit ung nommé Jacques Frappier, [p. 538] renommé et coustumier de desrober les pescheries et garennes du païs. Lequel Frappier peschoit èsdictes pescheries et deffends avec cinq lignes. Auquel Frappier ledit suppliant dist que c’estoit mal fait à lui de pescher sans le congié dudit abbé de Trisay. A quoy ledit Frappier respondit qu’il y pescheroit quiconque le voulsist veoir, et sur ce eurent lesdiz suppliant et Frappier certaines rigoureuses parolles ensemble, et tellement que ledit Frappier, qui estoit enbastonné d’une dague et d’une grosse massue de bois, se leva et tira ladicte dague et soy aproucha en courant sus audit suppliant qui estoit sur ladicte jument, et couppa icellui Frappier avec sa dague la corde de l’arbaleste dudit suppliant, combien qu’elle ne fust point bandée, tellement que ledit suppliant commença à soy en aller et departir d’illec ; mais ledit Frappier le suivoit tousjours, et à ceste cause ledit suppliant qui n’avoit aucun autre baston que ladicte arbaleste dont la corde estoit coppée, doubtant que ledit Frappier l’oultragast, appella à haulte voys ledit Thomas Charlot qui estoit loing d’illec et venoit à pié après ledit suppliant ; mais ledit Charlot ne le peut oyr pour la distance qui estoit entre eulx deulx. Et alors ledit Frappier s’aproucha plus fort dudit suppliant, et de ladicte massue qu’il avoit s’efforça le vouloir frapper, tellement que icellui suppliant fut contrainct de descendre, et en descendant tumba à terre et lui cheut sadicte arbaleste auprès de lui. Et lors ledit Frappier se gecta sur ledit suppliant et lui donna plusieurs coups tellement qui lui rompit le pousse de la main senestre, et se combatirent illec par aucun temps. Et depuis se redroissèrent sur piez, et incontinant eulx relevez, ledit Frappier courut de reschef sus audit suppliant et s’efforça le frapper de ladicte massue. Et pour ce empescher ledit suppliant reprint sa dicte arbaleste pour soustenir lesdiz coups [et] de l’estrier (sic) de ladicte arbaleste icellui suppliant frappa icellui Frappier par la poitrine et le fist cheoir d’un genoil en terre, et en se [p. 539] voulant redresser ledit Frappier print de rechief sadicte dague et courut sus et en voulut estoquer ledit suppliant. Lequel suppliant ce voyant donna ung coup de ladicte arbaleste sur la teste et eschine dudit Frappier, dont il cheut à terre. Et lors ledit suppliant lui osta lesdictes massue et dague et s’en revint la où estoit ledit Thomas Charlot, auquel il compta le cas tel que dessus est dit et lui bailla ladicte dague à porter, puis s’en allèrent lever lesdiz engins et travaulx qui estoient esdictes pescheries et deffens dudit abbé de Trisay. Et ne pensoient point que ledit Frappier fust mort ; toutes foiz ledit suppliant a sceu depuis que ledit Frappier, au moien desdiz coups estoit incontinant après et sur le lieu mesmes allé de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais seurement retourner, converser ne repairer, se noz graces et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant icelles. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., audit suppliant avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessusdit avecques toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous noz autres, etc. Donné à Baugency, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. quatre vings et deux, et de nostre règne le vingt et ungiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. J. de Villebresme. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Il s’agit ici de l’abbaye de Lieudieu en Jard (canton de Talmont, Vendée), et de l’abbaye de Trizay (commune de Saint-Vincent-Puymaufrais, canton de Chantonnay, Vendée), appartenant, la première à l’ordre de Prémontré, la seconde à celui de Citeaux et toutes deux au diocèse de Luçon. Les auteurs de la Gallia christiana (t. II, col. 1444) ne connaissent aucun nom d’abbé de Trizay entre la fin du xiiie siècle et le xvie, aucune trace par conséquent de N. Mangarineau. [L.C.]

2 La rivière dont il est question ici pourrait bien être l’Yon, qui se jette dans le Lay quelques kilomètres au-dessous de Trizay. Il faut cependant reconnaître que ni le Dictionnaire des Postes, ni la carte d’État-Major, ni Cassini ne placent le lieu dit Asnières dans ces parages. [L.C.]