[p. 595]

MDCCXXXVII

Rémission octroyée à James Bichet, originaire d’Écosse, sergent et garde forestier de Jacques Vernon, chevalier, seigneur de Montreuil-Bonnin, et à Macé Paton qui lui avait prêté main forte, pour le meurtre de Guillaume Agin, dont les enfants avaient été pris en flagrant délit de vol de bois et qui avait voulu s’opposer par la force à la saisie de sa charrette et de ses bœufs.

  • B AN JJ. 207, n° 296, fol. 135 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 595-600
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de James Bichet, natif du royaume d’Escosse, aagé de xxxvi ans, et de Macé Dynnel, dit Paton, povre homme de labour, aagé de xxiiii. ans, chargez de femmes et grant nombre d’enfans, demourans à present à Monstereul Bonin ou pays de Poictou, contenant que depuis neuf ou huit ans ença ledit Bichet a servy et demouré avecques nostre amé et feal conseiller et chambellan Jaques Vernon1, chevalier, seigneur dudit lieu de Monstereul Bonin, ouquel service il s’est bien et honnestement gouverné, au moien de quoy nostredit conseiller et chambellan, le voyant bon et loyal serviteur, le fist, crea et constitua en sadicte seigneurie son sergent et officier, et lui donna la garde de ses bois et forestz, qui sont beaulx bois de grant garde et longue estandue, ce que ledit James a tousjours depuis fait, sans y avoir acquis aucun mauvais bruit ne exedé les termes de justice. Et le jeudi de la Samrie (sic) xxiiie du mois de mars derrenier passé2, ledit Bichet, voullant excercer sondit office [p. 596] en soy acquictant envers sondit seigneur et maistre, se partit au bien matin du bourg dudit lieu de Monstereul Bonin pour aller garder et visiter lesdit bois et fourestz et veoir s’il y trouveroit aucuns malfaiteurs en iceulx, et avecques lui mena ung povre homme de labour, nommé Simon Gerbault pour l’acompaigner et estre record des esploiz qu’il feroit. Et quant ilz furent èsdictes forestz, comme environ une lieue en tirant vers le bourg de Latilhé, trouvèrent deux jeunes compaignons, enfans de feu Guillaume Agin et avec eulx ung jeune compaignon qu’on disoit estre varlet dudit Agin, qui avoient une charrete et deux beufs qu’ilz conduisoient et estoient arrestez au dedans desdictes forestz et chargeoient ladicte charrète et y avoient ja mis certaine quantité de bois d’icelle forest, combien que ledit feu Agin ne feust en riens usaigier d’iceulx bois et forestz, et par ce n’avoient lesdiz compaignons aucun droit ne auctorité de en prendre ne en emporter, ains estoient admendables envers ledit seigneur de Monstereul Bonin et leurdiz charrète et beufs confisquez à ladicte seigneurie par et selon l’usaige et coustume qu’on garde en icelle seigneurie et chastellenie et que de toute ancienneté on y a gardée. Et à ceste cause ledit James suppliant et ledit Gerbault son record ou compaignon dirent ausdiz compaignons qu’ilz avoient forfait contre ledit seigneur de venir rober lesdiz bois et que leursdiz beufz estoient confisquez à ladicte seigneurie ; lesquels beufz et charrète ledit James en usant de son office saisist et mist en la main de justice, ainsi que raison estoit, et lui et ledit Gerbault s’efforcèrent les mener et conduire audit chasteau de Monstereul Bonin, pour en estre fait la raison telle qu’il appartenoit. Et avoit ledit James ung espiot et ledit Gerbault n’avoit aucun baston, mais print l’aguillon que lesdiz compaignons avoient, avec lequel il se mist à conduire lesdiz beufs et charrète droit audit chasteau de Monstereul Bonin. Lesquelz compaignons ainsi trouvez en meffait que [p. 597] dit est, si tost qu’ilz virent qu’on en menoit leur charrète et beufs, s’en retournèrent acourans devers ledit Agin, qui, tantost qu’ilz lui eurent dit le cas, print ung baston tannis et ledit son varlet ung autre, monstèrent chacun sur ung cheval ou jument et s’en vindrent au devant desdiz charrète et beufs et les trouvèrent près l’ostel de Mathurin Poignet, receveur dudit Monstereul Bonin, en laquelle maison ledit James suppliant s’estoit mis et laissoit à mener ladicte charrète et beufs audit Gerbault. Et comme il eut esté ung peu en ladicte maison s’en sortit dehors pour veoir si ledit Gerbault amenoit lesdiz beufs et charrète, et ainsi qu’il fut dehors d’icelle maison, veist venir ledit feu Agin, ung de sesdiz enfans et sondit varlet avecques lui qui s’adressoient audit Gerbault et de prime face ledit Agin osta l’aguillon audit Gerbault et fist incontinant retourner lesdiz beufs et charrète. Laquelle chose voyant, ledit James s’en alla droit à eulx avecques sondit espiot qu’il a acoustumé porter quant il va visiter lesdiz bois, et quant il vit ledit Agin qui vouloit recourre lesdiz beufs et charrète, il se mist au devant pour empescher que ledit Agin ne les enmenast. Et quant ledit Agin, qui estoit plain de grant couraige, aagé de xl. à l. ans, vit que ledit James retournoit lesdiz beufs, bailla ledit aguillon à ung des compaignons estans avecques lui en lui disant qu’il conduit sit lesdiz beufs et charrète en leur maison. Et ce fait, ledit Agin avec sondit baston de tannis de cinq piez de long ou environ [vint] audit James, le cuidant faire retirer de devant lesdiz charrète et beufs, lui cuidant bailler ung coup de sondit baston sur la teste, mais ledit James lui rabbatit ledit coup tellement que pour celle foiz il lui toucha aucunement. Et tantost ledit coup rabatu, ledit James print ledit Aigin au collet et le tumba par terre, et quant il l’eut tumbé, lui aida à relever lui mesmes, sans lui faire aucune violence, en lui disant qu’il estoit fol d’y venir par telles voyes et que s’il estoit saige, il se tireroit vers la dame dudit [p. 598] lieu qui estoit ondit chasteau de Monstereul Bonin, en absence dudit seigneur, son mary ; [et que] elle lui rendroit sesdiz beufs et lui feroit grace pour bien peu de chose. A quoy ledit Agin fist responce audit James qu’il n’en feroit riens, disant que par le sang Nostre Seigneur il n’enmeneroit point lesdiz beufs et charrète et qu’il se feroit plus tost tuer que le souffrir [et qu’ilz lui fussent rendus3] sur le champ ou tueroit ledit James. Et en ce disant, ledit Agin ou sondit varlet lui donnèrent d’un desdiz bastons de tannis qu’ilz avoient au travers les rains tant qu’ilz peurent ramener, dont ledit James se trouva tout esmeu et oultraigé, et à ceste cause dudit espiot qu’il avoit il tourna la hampe et en frappa ledit Agin et sondit varlet chacun ung coup sur les bras. Et ce pendant qu’ilz se debatoient, le filz dudit Aigin enmenoit tousjours ladite charrète ; et quant ledit James se vit ainsi oultragé, voyant qu’il y avoit deux compaignons ou grant chemin public près d’illec, c’est assavoir ledit Macé Dynnel, dit Paton, suppliant et ung nommé Petitcru, leur cria à l’aide et qu’ils le voulussent secourir. Lequel Macé suppliant qui avoit ung esguillon dont il touchoit lesdiz beufs et charrète, car il venoit desdiz bois querir une charrète de bois pour ledit Petitcru. Lequel Petitcru qui oyt ledit cry dist audit Paton suppliant qu’il allast aider audit James et que estoit en neccessité, ce qu’il fit, et en y allant print ung [pal] à une palice ou cloison estant en son chemin et vint à l’assemblée. Et comme il fut près d’eulx, ledit feu Aigin lui dist tout esmeu telles parolles : « Retourne t’en, si feras que saiges » ; et y avoit entre eulx deux une palice, et si comme ledit Paton cheminoit droit à eulx, ledit Agin lui dist telz motz : « Par le sang bien, se tu ne t’en retournes, tu t’en repentiras. » Et lors ledit Macé s’avança plus fort de venir à eulx et ainsi qu’il s’approuchoit, ledit Aigin leva sondit baston de tannis [p. 599] et le cuida frapper. Lequel Paton suppliant desmarcha tellement que le coup dudit Agin tumba à terre, et laquelle chose voyant, ledit Paton suppliant leva ledit pal qu’il tenoit et en bailla ung coup sur la teste dudit Agin jusques à effusion de sang, et aussi ledit James voyant l’oultraige dudit Agin lui bailla de la hampe dudit espiot ung coup sur la teste tellement que icellui Agin tumba à terre. Et après lesdiz supplians vindrent ausdiz beufs et charrète et les misdrent ondit chemin pour les mener ondit chastel de Monstereul Bonin, mais ce non obstant lesdiz filz et varlet dudit Aigin levèrent icellui Agin et de rechief vindrent ensemble ausdiz supplians pour cuider recourre lesdiz beufs et charrète. Laquelle chose voyans, lesdiz supplians vindrent de rechief sur ledit Agin et lui donnèrent chacun d’eulx ung coup sur les bras, et après ledit James le poussa de la hampe de sondit espiot tellement qu’il en tumba à terre ; et quant il fut tumbé, iceulx supplians enmenerent lesdiz beufs et charrète et laissèrent ledit Aigin ondit estat. Lequel tantost après et en icellui jour, comme l’on dit, fut mené en l’ostel d’un povre homme nommé Morrigon où il a demouré malade par l’espace de douze jours, quoy que soit le douziesme jour après, au moien de ce que ledit Aigin avoit esté naguères très fort malade de fièvres qui l’avoient tenu longtemps, que aussi il n’avoit esté pensé ne gouverné de sesdictes playes et basteures comme il appartenoit, ou autrement, est allé de vie à trespas. Et combien que lesdiz supplians en faisant ce que dit est fust et soit en deffendant leurs personnes et que ledit feu Aigin estoit agresseur en tant qu’il avoit envoié prandre ledit bois esdictes forestz, sans auctorité ne droit qu’il y eust de ce faire, et que de prendre et enmener lesdiz beufs et charrète appartenoit ondit James suppliant à cause de sondit office et que l’oultrage fait audit James de vouloir ainsi par sa force recourre lesdiz beufs et charrète estoit enfraindre la main de justice, et par ce appartenoit bien [p. 600] audit suppliant d’en garder la force audit seigneur de Monstreul Bonin, et y appeller secours et aide pour ce faire, toutesvoyes iceulx supplians, doubtans rigueur de justice se sont mis en l’église et advouent franchise, où ilz sont en grant povreté et misere et dont leursdiz femmes et enfans ont de grans affaires et neccessitez, et sont en voye de mendier et encores pourroient plus estre s’il ne leur estoit sur ce pourveu de nostre grace et misericorde, en nous humblement requerant que de leur (sic) part n’ont esté agresseurs et que ledit feu Aigin pendant lesdiz douze jours qu’il a esté malade en l’ostel dudit Morrigeau (sic), il a racongneu qu’il avoit tort en ladicte matière et que ledit James n’avoit fait sinon ce qu’il devoit faire à cause de sondit office et requis pardon de l’oultrage qu’il lui avoit faicte et qu’il lui pardonnoit à lui et audit Paton sa mort, si elle s’en ensuivoit, et les quictoit du tout en tout en faisant ramener et mettre sadicte charrète en sa maison, ce qu’ilz ont fait, que de tout temps et d’ancienneté lesdiz povres suplians ont esté de bonne vie et vescu honnestement, etc., il nous plaise leur quicter, remettre et pardonner les faiz et cas dessusdiz et sur ce leur impartir nostredicte grace et misericorde. Pour quoy nous, etc., voulans, etc., ausdiz supplians et à chacun d’eulx avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessusdit avecques toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Tours ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. quatre vings trois, et de nostre règne le xxiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. Guillart. — Visa. Contentor.


1 Sur Jacques Vernon, voy. Arch. hist. du Poitou, t. XXXVIII, p. 130.

2 Cette date est inexacte : le 23 mars 1483 était un dimanche ; c’est en 1480 que le 23 mars tomba un jeudi. Cette anomalie pourrait s’expliquer par l’insertion mot pour mot dans les lettres de rémission d’une supplique écrite en réalité quelques années plus tôt. Ce que nous ne pouvons expliquer, c’est le terme « jeudi de la Samrie ». On appelle quelquefois la Samaritaine le vendredi de la 3e semaine de Carême, mais le 23 mars tombe dans cette semaine, en 1476, un samedi, puis en 1484, un mardi, et point entre les deux. [L.C.]

3 Mots suppléés.